En 1967, l’ensemble des aborigènes finit par obtenir la nationalité australienne et tous les droits qui vont avec. Pour la première fois, il est prévu de les inscrire dans le recensement.
En 1972, pour montrer qu’ils se sentent toujours considérés comme des étrangers dans leur pays, un groupe aborigène ouvre une ambassade à Canberra. Une tente est plantée sur la pelouse qui fait face au Parlement. Avec cette ambassade, l’apparition du drapeau aborigène.
C’est cette année également où on cède la totalité des réserves du Northern Territory aux aborigènes.
(acte symbolique : Gough Whitlam, alors premier ministre redonne la terre aux aborigènes représentés par Vincent Lingiari_ 1975)
En 1980, le gouvernement fédéral fonde sa politique sur la « reconnaissance du droit fondamental des aborigènes à conserver leur identité raciale et leur mode de vie traditionnel ou à adopter un mode de vie totalement ou partiellement européen. »
En 1992, il y eut un discours célèbre prononcé par le premier ministre Paul Keating sur la réconciliation: le discours de Redfern*. Il appela ses concitoyens à reconnaître les nombreux torts faits aux Aborigènes dans le passé. Cette reconnaissance devait, selon lui, être un prélude à l’amélioration des conditions de vie des Aborigènes :
« Le point de départ serait peut-être de reconnaître que le problème débute avec nous, les Australiens non-aborigènes. Cela commence, je crois, avec un acte de reconnaissance.
Reconnaître que c’est nous qui avons dépossédé les Aborigènes. Nous avons pris leurs terres traditionnelles et brisé leur mode de vie traditionnel. Nous avons apporté les désastres. L’alcool. Nous avons commis les meurtres. Nous avons enlevé les enfants à leur mère. Nous avons pratiqué la discrimination et l’exclusion. C’était notre ignorance, et nos préjugés. Et notre incapacité à imaginer être les victimes de ces choses là. A quelques nobles exceptions près, nous n’avons pas été capables de réagir de manière tout simplement humaine, et de nous projeter dans leurs cœurs et dans leurs esprits. Nous n’avons pas été capables de nous demander: ‘Comment me sentirais-je si quelqu’un me faisait ces choses là?’ »
« Lorsque les Aborigènes ont été inclus dans la vie de l’Australie, ils y ont apporté des contributions remarquables. Des contributions économiques, tout particulièrement dans l’industrie pastorale et agricole. Ils sont là dans l’histoire de la frontière australienne, de son exploration. Ils sont là en temps de guerre. Dans le sport, à un degré extraordinaire. Dans la littérature, dans l’art et dans la musique. De toutes ces manières, ils ont modelé notre connaissance de ce continent et de nous-mêmes. Ils ont modelé notre histoire. Ils sont là dans la légende australienne. Nous ne devrions jamais l’oublier: Ils ont aidé à bâtir cette nation. Et si nous avons un sens de la justice, ainsi que du bon sens, nous forgerons une nouvelle coopération. Comme je l’ai dit, cela nous aidera peut-être si nous, les Australiens non-aborigènes, nous nous imaginons dépossédés de la terre sur laquelle nous avons vécu depuis 50 000 ans – puis que nous imaginions qu’on nous dise que cette terre n’a jamais été la nôtre. Imaginons que notre culture soit la plus ancienne au monde, et qu’on nous dise qu’elle ne vaille rien. Imaginons que nous ayons résisté à cette colonisation, que nous ayons souffert, que nous soyons morts en défendant notre terre, et puis qu’on nous dise dans les livres d’histoire que nous l’avons abandonnée sans nous battre. Imaginons que les Australiens non-aborigènes aient servi leur pays en temps de paix et en temps de guerre, et puis que cela soit ignoré dans les livres d’histoire. Imaginons que nos exploits sportifs aient suscité admiration et patriotisme, mais que malgré tout cela n’ait rien fait pour diminuer les préjugés. Imaginons que notre vie spirituelle soit niée et ridiculisée. Imaginons que nous ayons souffert de ces injustices, puis qu’on nous dise que tout cela est de notre faute. »
« Nous ne pouvons pas imaginer que les descendants d’un peuple,
dont le génie et la résistance ont maintenu une culture ici depuis plus de 50 000 ans,
qui survécut à 200 ans de dépossessions et d’abus, se voient niés leur place dans la Nation ».
Un discours marquant, fort. Un discours qui relève la tête de l’Australie. Reconnaissance des fautes, reconnaissance de l’autre, reconnaissance d’un cruel départ entre deux peuples à cause de l’ignorance et de la bêtise humaine. Certains diront que ce ne sont que des mots. Mais ils doivent être dits avant de faire un bon en avant. Reconnaitre les erreurs commises avant de les corriger. Quelques minutes de discours n’effaceront pas 200ans d’Histoire et de blessures mais ils veulent signer leurs arrêts. On veut cauteriser les plaies qui saignent, on veut relever ce qui est à terre. Il n’y a pas de pas en arrière. C’est véritablement une main, honteuse mais humaine qui se tend.
Ces mots seront-ils suivis d’actes ?
Le 3 juin de cette même année, la haute cour de justice corrige l’histoire en prononçant un retentissant arrêt : LE MABO RULING.
Cet arrêt reconnait que l’Australie n’était pas « terra nullius », c’est à dire terre inoccupée à l’arrivée des colons. Toute communauté peut revendiquer la propriété d’une terre sur laquelle elle a maintenu une présence. Cependant le législateur a bien pris soin de protéger mineurs (le travail des minerais…hein pas les moins de dix huit ans), fermiers et grands propriétaires privés. Les puissants lobbies miniers et fermiers continuent encore aujourd’hui leurs campagnes contre cette législation qui gène leur affaires.
De 1996 à 2007, le gouvernement conservateur fait machine arrière. Il refuse de demander « pardon » aux générations volées et autres exactions, restreint le champ des revendications foncières, dissout l’ATSIC (commission chargée de coordonner et gérer les budgets dans tous les domaines concernants les aborigènes. Fait rare, cette organisation était dirigée par des aborigènes élus par des conseils régionaux). Ces budgets sont directement contrôlés par l’Etat.
A la suite d’un rapport alarmant dénonçant des abus sexuels et incestes dont souffrent des enfants dans certaines communautés aborigènes, le gouverneur déclare l’état d’urgence et ordonne l’intervention. L’armée et la police sont chargées de rétablir l’ordre dans 73 communautés pour cinq ans et en profitent également pour retirer aux conseils aborigènes le droit d’accorder ou non des permis de visite dans leurs terres.
2007, le labor (parti travailliste) revient au pouvoir. Le premier ministre demande pardon aux générations volées et rend aux communautés le droit d’accorder les permis de visite. Il maintient en partie l’état d’urgence dans le territoire du nord.
Son but se résume en trois mots:
Close the gap
Réduire en une génération, les immenses inégalités sanitaires et sociales qui existent et qui séparent les black fellow du reste de la population australienne.
Un nouveau conseil se met en place : le congrès national des peuples premiers australiens.
Le combat n’est pas terminé pour les aborigènes. Depuis nos un an et demi sur cette terre australe, nous comprenons combien ce problème est complexe. Les dégâts sont énormes dans les populations aborigènes et bien sûr ce ne sont pas les personnages les plus nobles qui crient le plus fort. Alors quand on arrive sur ces terres, on fait confiance à un gouvernement qui assiste ces blacks fellows. Les mesures « pour les protéger de » l’alcoolisme… mais aussi les maisons qui leurs sont réservées, les allocations qu’ils touchent… Alors qu’au contraire, cela affaisse le gap des préjugés, les australiens ne comprenant pas ces mesures financières.
L’Australie fait parfois figure de parent qui ne s’est pas occupé de son enfant et qui, aujourd’hui, tente de se rattraper en remplissant ses poches d’un argent-pansement illusoire. En effet, les aborigènes n’ont pas été accompagnés dans ce nouveau mode de vie occidental, dans des notions que nous avons mis des millénaires à atteindre.
Nous aurions voulu qu’ils les comprennent en un instant ?
Comment faire comprendre les découvertes de Pasteur, comment évoquer ce concept étrange du troc qui passe par un objet en lui-même inutile (la monnaie), comment inculquer la pudeur vestimentaire alors que la nudité est naturelle, comment accepter d’arracher les mythes et ainsi piétiner ce qu’il y a de plus cher au monde ?
Alors que pendant des millénaires tout leur univers ne ressemblait pas à cela…
Les aborigènes sont en équilibre. Certains parfaitement intégrés dans la société australienne, d’autres vivent encore comme leurs ancêtres (dans les terres d’Arhnem). Certains militent avec les moyens occidentaux pour leurs peuples, d’autres crient dans les rues pour de l’alcool. Certains vivent dans de coquets appartements, d’autres dorment sur la terrasse des maisons que l’Australie leur construit.
Ce n’est pas simple d’embrasser cette nation. Mais comme tout problème humain, il faut garder les yeux et l’esprit ouverts.
Etre aborigène ne signifie pas avoir toutes les excuses pour s’abandonner dans les rues.
Etre aborigène ne signifie pas être né avec une cuillère d’argent gouvernementale dans la bouche.
Etre aborigène… c’est appartenir à une nation blessée qui peine à se relever mais c’est vivre de ses blessures avec la tête haute, c’est rester profondément entier. C’est aimer son peuple et croire l’avenir. Etre aborigène c’est respecter la Terre-Mère et pourtant devoir respecter cette nouvelle culture. C’est être le mélange vivant du passé et du présent. C’est connaître la date de la fête nationale, le 26 janvier jour de l’arrivée de la première flotte européenne à Sydney, appelé Australian Day-le jour de l’Australie- et la vivre comme un deuil, « Invasion Day »-jour de l’invasion- chez les aborigènes.
Etre aborigène aujourd’hui…?
C’est difficile.
* Pour lire le discours en entier (et en anglais) c’est par ici, si vous me le demandez je peux vous le traduire en francais également (Je suis trop sympa) : http://antar.org.au/sites/default/files/paul_keating_speech_transcript.pdf
Pour l’écouter en anglais :
(Part 1) http://www.youtube.com/watch?v=mKhmTLN3Ddo
(Part 2) http://www.youtube.com/watch?v=5G0gizfu5Ms