RENCONTRES AU FIL-GURé

Il pleut, oui.

Alors on saisit le temps. On dessine, on gribouille , on coud…

Coudre ? Mais si, regardez, c’est caché dans chacun des dessins, des points de sutures qui relient chaque petite histoire des 40 000 kilomètres parcourus en Terra Australis.

Une pluie qui me permet d’être à l’heure, tout juste pour le concours de l’APAJ.

« Toujours sur le thème du voyage et de la découverte,
notre concours réservé aux moins de 30 ans, parrainé par Erik Orsenna.
Thème de l’année: sur la route et les chemins, à la rencontre des autres…
L’édition 2014 de notre concours a décidé de prendre l’air
pour raconter le monde et ses bouleversements.En France ou à l’étranger.
A pied, au coeur de la jungle, en route vers les sommets,
perdu dans l’immensité des déserts ou des mégapoles…
A travers des voyages intérieurs sur les chemins de la sagesse,
de la spiritualité et de la connaissance de soi…
A vous de tracer la route avec vos mots, vos images et votre musique. »

Alors bienvenue.

Bienvenue dans Rencontres au FILguré
en Terra Australis

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J’aurais pu en remplir d’autres des pages tant riche a été ce voyage.
Merci à toutes ces rencontres qui m’ont inspirées ces traits … Et qui me gravent un sourire niais quand je pense à eux.

 

Début des résultats ?

Concours «Libé»-Apaj: les vingt dessinateurs finalistes

 

 

Sirène des sables

Le vent, l’envie… tout nous poussait de nouveau vers un des villages mal aimé de l’Australie.

 

Village d’hommes, de mineurs. Village de poussière et de camaïeux ocres.

Cette bourgade masculine est née pour une femme bien évidemment. La Terre nourricière a laissé une de ses précieuses filles, ici, dans le désert.

Mais elle a fini par se sentir seule, alors telle une sirène des sables, elle a laissé le vent soulever ses dessous laissant voir les trésors qu’elle cachait sous ses jupons d’ancienne mer asséchée. Les hommes de tous les continents sont devenus fous et y ont établi leur siège. Chaque jour, ils attendent les faveurs de la belle. Chaque jour, ils espèrent. Chaque jour, ils se languissent. Une bière à la main, chaque homme échange le bonheur qui sera le sien quand elle sera sienne. Tout changera, le ciel sera plus bleu, demain n’existera plus, il n’y aura qu’aujourd’hui. Et on le fêtera ensemble s’assurent tous ces hommes qui vident les canettes de houblons en rêvant.

Coober Pedy est féminine puisque que ce sont ses dessous qui affolent les hommes. Ils rêvent de l’opale que la Terre si généreuse, si elle est amante de la Chance, leur offrira. Chaque jour, se lève sur l’Espoir et se couche sur l’Espoir. Cette ville aurait dû s’appeler Madeleine, celle qui n’arrive pas mais qu’on aime et qu’on attend quand même…Mais ce n’est pas Brel qui a posé ses yeux sur elle la première fois, c’est Hutchinson. Cette bourgade de la ruée vers l’opale a finalement gardé le nom que les aborigènes lui avaient donné à la vue de tous ces soupirants :

« Homme blanc dans un trou »

Ils avaient tout compris.

 

L’opale est séduisante. J’aime regarder les belles femmes, Greg sûrement aussi mais il ne le dit pas. Alors nous y sommes retournés, encore une fois, on n’ose pas dire une dernière. On avait aimé les gens, imaginatifs sous ce sable brûlant, tendres autant que leur terre est inhospitalière, entiers de passions et de cœur.

 

Nous sommes les bienvenus chez Amandine et Damien.

Entre mars dernier et aujourd’hui, leur arche de Noé s’est construite. Ils ont enfin leurs chez eux et préparent le déluge en réunissant les bagages nécessaires au bon plaisir du Monsieur qui vit là-haut. Ils ont un chien Tsuki-Putski-Chutcky –impossible pour moi de retenir son prénom-, un canin ayant un pet-au-casque certain. Quatre poules rousses et quatre poules noires. Quand nous partirons deux chatons se seront ajoutés au voyage ainsi qu’un essaim d’abeilles. C’est Dieu qui doit être content.

Il fait bon vivre chez ce couple amoureux comme des tourtereaux (ah, on peut le rayer de la liste des animals to have before the rain- animaux à avoir avant la pluie), gentils comme des agneaux (ok, j’arrête).

Ils nous ont accueillis avec tant de générosité que l’on a fini par squatter comme de vieux potes dont on ne peut plus se débarrasser. Que voulez-vous ? Le cappuccino avait une mousse à se damner, la bière maison pétillait comme une première communiante, la chambre ne prenait pas la température lunatique de l’extérieur -pardon Léon-, et nos deux hôtes avaient un sourire à y revenir.

Trois semaines sont passées comme quand on souffle sur un pissenlit qui veut découvrir le voyage. Les graines s’envolent doucement et sereinement.

Ce n’est pas pour autant qu’elles se sont passées dans un calme larvaire. Détrompez-vous.

Elles ont commencé comme un noël lorsqu’au goutte à goutte, nous allions chercher vos trésors à la poste (il n’y a pas de facteur à Coober Pedy). Soit la folie de Noël commençait à vous titiller, soit on commençait très sérieusement à vous manquer. Je me plais à croire à la seconde, tant j’aime nous envoyer des fleurs.

Vous avez fait fort, contrebandiers novices ou affirmés, poètes, sélectionneurs, et que du meilleur. Nous avons reçu dans des petites boites en carton la quintessence de nos régions…. Commençant par l’Alsace enchanteresse, sonnant des trompettes à la capitale, en passant par la Bretagne, en flirtant avec l’Isère, buvant des canons à Lyon, se réchauffant à Marseille pour finir dans les bras de la Bourgogne. Vous nous avez donné des crampes à force de vous sourire et donné le tournis à nos papilles.

Milles Mercis à Vous.

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Ne faites pas ça trop souvent quand même, il ne faudrait pas créer des causes vicieuses à l’éloignement- à savoir le rêve de chaque enfants, noël tous les six mois-.

Merci Encore.

 

Pendant que vous nous envoyiez le père noël, nous en étions encore aux têtes de morts et aux citrouilles : à Halloween. La Halloween Fancy Dress s’annonçait difficile pour des backpackers… Quel genre de grosse malle poussiéreuse pouvait se cacher dans Léon et nous couvrir de déguisements inattendus. Duncan, le voisin, trouva la réponse pour Greg et lui fournit la panoplie du parfait pirate. Eggwina le poulet maladif de Birdy lui servit de perroquet tandis qu’un trait de maquillage lui donna l’air macabre.

A moindre coût et à moindre temps que pouvais-je bien trouver. J’avais de l’acrylique blanche dans le van, je me mis donc en tête de faire ressortir les os sur ma peau. Un débardeur noir que je retournais pour le garder vierge pour la suite du voyage et un collant subirent le même sort. Un masque découpé au hasard dans une simple feuille blanche, des branches en aluminium pour le tenir et me voilà squelette improvisé.

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La nuit se déclina en houblonneries offertes bien souvent par un ami du couple à la main lourde. Ne vous inquiétez pas, nous ne sommes pas morts de soif. Nous le reverrons plus tard. Son nom ? Anoush. 

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Les semaines s’articulaient autour des immanquables, deux heures de karaté le mardi et le jeudi (-excuse-moi encore Shanaka, homme rieur du Sri Lanka, d’avoir pyrogravé ta peau avec mes ongles, j’espère que ta femme ne t’en a pas tenu rigueur-), le même temps dédié au golf avec l’incontournable Father Paul le vendredi (se faire tenir les hanches par un religieux pour comprendre les positions de golf m’a laissé perplexe) et la messe le dimanche matin où nous nous plaisions à revoir la douce et pétillante Reine, une française dont l’accent du sud fait sautiller son franglais. Depuis quand s’est-elle installée à Coober Pedy ? Je ne sais plus. Mais cela ne date pas d’hier.
A la messe, lors de la quête, de la communion, ou autre moment en suspens, Reine aime à nous donner les recettes de la ratatouille et des aubergines farcies.

Les cigales se glissent dans la petite église soutter-Reine.

 

 

MacDonnell cherche son nez rouge

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Après avoir laissé nos ladies, on avait le coeur un peu à l’envers. Il ne faut pas croire qu’un voyage c’est de tout repos… Les entrailles toujours en mouvement : la tête, les sens, le coeur, valsent à mille temps. Je réapprends souvent à marcher depuis que l’on est sur le sol australien. Mais sur un autre sol, ça aurait été pareil. Juste se mettre à nu, se tester, s’essayer à la vie, ça fatigue un peu.

On s’organise des marches du dimanche sur la chaîne montagneuse à la beauté sauvage des MacDonnell Ranges. Ca va nous faire du bien. La marche, ça fait toujours du bien. On devient céphalopodes, on marche sur notre cerveau jusqu’à le faire taire.

Cela faisait au moins l’éternité que nous n’avions pas chaussé nos randonneuses. Nous continuons avec dans la tête, les légendes aborigènes. Ces chaînes de montagnes, ce sont les chenilles de Mparntwe qui les ont créées. Elles ont pénétré notre monde à travers une brèche dans la roche avant de ramper sur le paysage et de donner naissance à la topologie actuelle. Nous explorons les gorges, les points d’eaux :

Serpentine Gorge, Ormiston Gorge, Ellery Creek , Glen Helen Gorge suivant le tracé des lombrics sacrés.

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A Ochre Pitts, la carrière de craie, j’ai l’espoir de prélever quelques grammes de craie pure et oxydée en souvenir des peintures corporelles de mes ladies. Je sors mes trois petits sachets. Un pour le jaune, un pour le rouge, un pour le blanc… et les range aussitôt quand on me laisse apprécier un panneau stipulant l’interdiction qui pèse sur ce genre de prélèvement… 5 000 dollars, ça fait cher la mémoire.

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Nous quittons les MacDonnell pour la vallée majestueuse des rois : Watarrka, ou Kings Canyon. Deux cents cinquante kilomètres nous en séparent, nous choisissons le raccourci qui nous fait gagner 100 précieux kilomètres : une piste non goudronnée par endroit dangereusement sablonneux. L’expédition a commencé, avant même d’atteindre la vallée.

Nous y sommes. Nous montons au sommet très rapidement. Le chemin est abrupte mais la montée ne dure pas. Nous surplombons les plaines. Je commence à tousser méchamment, cela fait quelques jours déjà. J’enroule ma gorge et respire dans un tissu imbibé d’eucalyptus dans l’espoir, au mieux que cela m’apaise, au pire que cela ne dégénère pas.

Nous dépassons un groupe de touristes asiatiques écorcheurs de paysages et d’espaces avant de savourer enfin la beauté du lieu. Nous admirons l’amphithéâtre enchâssant une gorge de trois kilomètres de long creusée dans une montagne de grès. Les falaises verticales qui atteignent deux cents soixante dix mètres de hauteur sont d’un rouge puissant, striées de bandes sombres. Le lieu est magistral, taillé au couteau par une lame divine.

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Au sommet, on découvre des dômes de grès rouges. Selon le Dreaming, ce sont de jeunes Kuninga, de petits marsupiaux, qui voyageaient à travers le Watarrka qui se sont arrêtés ici pour se reposer. Chaque dôme représente une de ces petites créatures. A leurs pieds, le canyon abrite un trou d’eau permanent qui alimente un étonnant jardin tropical au nom (un peu pompeux) de jardin d’Eden où poussent eucalyptus bleus, palmes et cycas.

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Le trou d’eau un peu plus loin est protégé par le serpent arc-en-ciel. Les aborigènes veillaient à ne pas déranger le reptile, convaincus que sans sa protection, le lieu s’assécherait très vite. Jamais ils ne se permettaient de nager et s’avançaient toujours avec le plus grand respect pour recueillir l’eau et ne pas froisser l’ancêtre qui vivait ici.

Aux portes d’un des plus grands symboles australiens, nous partageons la nuit avec un dingo avant de nous rendre à Uluru.

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PS : HAPPY BIRTHDAY THIBALT

-Findel’AboWeEk- VERS UNE FRAGILE RECONCILIATION

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En 1967, l’ensemble des aborigènes finit par obtenir la nationalité australienne et tous les droits qui vont avec. Pour la première fois, il est prévu de les inscrire dans le recensement.

En 1972, pour montrer qu’ils se sentent toujours considérés comme des étrangers dans leur pays, un groupe aborigène ouvre une ambassade à Canberra. Une tente est plantée sur la pelouse qui fait face au Parlement. Avec cette ambassade, l’apparition du drapeau aborigène.

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C’est cette année également où on cède la totalité des réserves du Northern Territory aux aborigènes.

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(acte symbolique : Gough Whitlam, alors premier ministre redonne la terre aux aborigènes représentés par Vincent Lingiari_ 1975)

En 1980, le gouvernement fédéral fonde sa politique sur la « reconnaissance du droit fondamental des aborigènes à conserver leur identité raciale et leur mode de vie traditionnel ou à adopter un mode de vie totalement ou partiellement européen. »

En 1992, il y eut un discours célèbre prononcé par le premier ministre Paul Keating sur la réconciliation: le discours de Redfern*. Il appela ses concitoyens à reconnaître les nombreux torts faits aux Aborigènes dans le passé. Cette reconnaissance devait, selon lui, être un prélude à l’amélioration des conditions de vie des Aborigènes :

« Le point de départ serait peut-être de reconnaître que le problème débute avec nous, les Australiens non-aborigènes. Cela commence, je crois, avec un acte de reconnaissance.

Reconnaître que c’est nous qui avons dépossédé les Aborigènes. Nous avons pris leurs terres traditionnelles et brisé leur mode de vie traditionnel. Nous avons apporté les désastres. L’alcool. Nous avons commis les meurtres. Nous avons enlevé les enfants à leur mère. Nous avons pratiqué la discrimination et l’exclusion. C’était notre ignorance, et nos préjugés. Et notre incapacité à imaginer être les victimes de ces choses là. A quelques nobles exceptions près, nous n’avons pas été capables de réagir de manière tout simplement humaine, et de nous projeter dans leurs cœurs et dans leurs esprits. Nous n’avons pas été capables de nous demander: ‘Comment me sentirais-je si quelqu’un me faisait ces choses là?’ »

« Lorsque les Aborigènes ont été inclus dans la vie de l’Australie, ils y ont apporté des contributions remarquables. Des contributions économiques, tout particulièrement dans l’industrie pastorale et agricole. Ils sont là dans l’histoire de la frontière australienne, de son exploration. Ils sont là en temps de guerre. Dans le sport, à un degré extraordinaire. Dans la littérature, dans l’art et dans la musique. De toutes ces manières, ils ont modelé notre connaissance de ce continent et de nous-mêmes. Ils ont modelé notre histoire. Ils sont là dans la légende australienne. Nous ne devrions jamais l’oublier: Ils ont aidé à bâtir cette nation. Et si nous avons un sens de la justice, ainsi que du bon sens, nous forgerons une nouvelle coopération. Comme je l’ai dit, cela nous aidera peut-être si nous, les Australiens non-aborigènes, nous nous imaginons dépossédés de la terre sur laquelle nous avons vécu depuis 50 000 ans – puis que nous imaginions qu’on nous dise que cette terre n’a jamais été la nôtre. Imaginons que notre culture soit la plus ancienne au monde, et qu’on nous dise qu’elle ne vaille rien. Imaginons que nous ayons résisté à cette colonisation, que nous ayons souffert, que nous soyons morts en défendant notre terre, et puis qu’on nous dise dans les livres d’histoire que nous l’avons abandonnée sans nous battre. Imaginons que les Australiens non-aborigènes aient servi leur pays en temps de paix et en temps de guerre, et puis que cela soit ignoré dans les livres d’histoire. Imaginons que nos exploits sportifs aient suscité admiration et patriotisme, mais que malgré tout cela n’ait rien fait pour diminuer les préjugés. Imaginons que notre vie spirituelle soit niée et ridiculisée. Imaginons que nous ayons souffert de ces injustices, puis qu’on nous dise que tout cela est de notre faute. »

« Nous ne pouvons pas imaginer que les descendants d’un peuple,
dont le génie et la résistance ont maintenu une culture ici depuis plus de 50 000 ans,
qui survécut à 200 ans de dépossessions et d’abus, se voient niés leur place dans la Nation ».

Un discours marquant, fort. Un discours qui relève la tête de l’Australie. Reconnaissance des fautes, reconnaissance de l’autre, reconnaissance d’un cruel départ entre deux peuples à cause de l’ignorance et de la bêtise humaine.  Certains diront que ce ne sont que des mots. Mais ils doivent être dits avant de faire un bon en avant. Reconnaitre les erreurs commises avant de les corriger. Quelques minutes de discours n’effaceront pas 200ans d’Histoire et de blessures mais ils veulent signer leurs arrêts. On veut cauteriser les plaies qui saignent, on veut relever ce qui est à terre. Il n’y a pas de pas en arrière. C’est véritablement une main, honteuse mais humaine qui se tend.

Ces mots seront-ils suivis d’actes ?

Le 3 juin de cette même année, la haute cour de justice corrige l’histoire en prononçant un retentissant arrêt : LE MABO RULING.

Cet arrêt reconnait que l’Australie n’était pas « terra nullius », c’est à dire terre inoccupée à l’arrivée des colons. Toute communauté peut revendiquer la propriété d’une terre sur laquelle elle a maintenu une présence. Cependant le législateur a bien pris soin de protéger mineurs (le travail des minerais…hein pas les moins de dix huit ans), fermiers et grands propriétaires privés. Les puissants lobbies miniers et fermiers continuent encore aujourd’hui leurs campagnes contre cette législation qui gène leur affaires.

De 1996 à 2007, le gouvernement conservateur fait machine arrière. Il refuse de demander « pardon » aux générations volées et autres exactions, restreint le champ des revendications foncières, dissout l’ATSIC (commission chargée de coordonner et gérer les budgets dans tous les domaines concernants les aborigènes. Fait rare, cette organisation était dirigée par des aborigènes élus par des conseils régionaux). Ces budgets sont directement contrôlés par l’Etat.
A la suite d’un rapport alarmant dénonçant des abus sexuels et incestes dont souffrent des enfants dans certaines communautés aborigènes, le gouverneur déclare l’état d’urgence et ordonne l’intervention. L’armée et la police sont chargées de rétablir l’ordre dans 73 communautés pour cinq ans et en profitent également pour retirer aux conseils aborigènes le droit d’accorder ou non des permis de visite dans leurs terres.

2007, le labor (parti travailliste) revient au pouvoir. Le premier ministre demande pardon aux générations volées et rend aux communautés le droit d’accorder les permis de visite. Il maintient en partie l’état d’urgence dans le territoire du nord.

Son but se résume en trois mots:

Close the gap

Réduire en une génération, les immenses inégalités sanitaires et sociales qui existent et qui séparent les black fellow du reste de la population australienne.

Un nouveau conseil se met en place : le congrès national des peuples premiers australiens.

Le combat n’est pas terminé pour les aborigènes. Depuis nos un an et demi sur cette terre australe, nous comprenons combien ce problème est complexe. Les dégâts sont énormes dans les populations aborigènes et bien sûr ce ne sont pas les personnages les plus nobles qui crient le plus fort. Alors quand on arrive sur ces terres, on fait confiance à un gouvernement qui assiste ces blacks fellows. Les mesures « pour les protéger de » l’alcoolisme… mais aussi les maisons qui leurs sont réservées, les allocations qu’ils touchent… Alors qu’au contraire, cela affaisse le gap des préjugés, les australiens ne comprenant pas ces mesures financières.
L’Australie fait parfois figure de parent qui ne s’est pas occupé de son enfant et qui, aujourd’hui, tente de se rattraper en remplissant ses poches d’un argent-pansement illusoire. En effet, les aborigènes n’ont pas été accompagnés dans ce nouveau mode de vie occidental, dans des notions que nous avons mis des millénaires à atteindre.

Nous aurions voulu qu’ils les comprennent en un instant ?
Comment faire comprendre les découvertes de Pasteur, comment évoquer ce concept étrange du troc qui passe par un objet en lui-même inutile (la monnaie), comment inculquer la pudeur vestimentaire alors que la nudité est naturelle, comment accepter d’arracher les mythes et ainsi piétiner ce qu’il y a de plus cher au monde ?
Alors que pendant des millénaires tout leur univers ne ressemblait pas à cela…

Les aborigènes sont en équilibre. Certains parfaitement intégrés dans la société australienne, d’autres vivent encore comme leurs ancêtres (dans les terres d’Arhnem). Certains militent avec les moyens occidentaux pour leurs peuples,  d’autres crient dans les rues pour de l’alcool. Certains vivent dans de coquets appartements, d’autres dorment sur la terrasse des maisons que l’Australie leur construit.
Ce n’est pas simple d’embrasser cette nation. Mais comme tout problème humain, il faut garder les yeux et l’esprit ouverts.

Etre aborigène ne signifie pas avoir toutes les excuses pour s’abandonner dans les rues.
Etre aborigène ne signifie pas être né avec une cuillère d’argent gouvernementale dans la bouche.

Etre aborigène… c’est appartenir à une nation blessée qui peine à se relever mais c’est vivre de ses blessures avec la tête haute, c’est rester profondément entier. C’est aimer son peuple et croire l’avenir. Etre aborigène c’est respecter la Terre-Mère et pourtant devoir respecter cette nouvelle culture. C’est être le mélange vivant du passé et du présent. C’est connaître la date de la fête nationale, le 26 janvier jour de l’arrivée de la première flotte européenne à Sydney, appelé Australian Day-le jour de l’Australie- et la vivre comme un deuil, « Invasion Day »-jour de l’invasion- chez les aborigènes.

Etre aborigène aujourd’hui…?

C’est difficile.

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* Pour lire le discours en entier (et en anglais) c’est par ici, si vous me le demandez  je peux vous le traduire en francais également (Je suis trop sympa) :  http://antar.org.au/sites/default/files/paul_keating_speech_transcript.pdf

Pour l’écouter en anglais :
(Part 1)  http://www.youtube.com/watch?v=mKhmTLN3Ddo
(Part 2)  http://www.youtube.com/watch?v=5G0gizfu5Ms

MBantua 3/3

J’accompagne mes femmes sur le chemin de la nutrition australienne : le barbecue. Une d’elle quitte le groupe, elle a oublié ses chaussures dans l’herbe.

Mes ladies sont des gosses.

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Je propose de l’attendre, les autres me disent qu’elle nous retrouvera. J’ai un doute. Je termine le chemin avec elles et repars chercher ma brebis égarée.
Il fait noir, et figurez vous que les noirs dans le noir le sont encore plus. Je suis incapable de reconnaitre un visage. J’essaie la bonne vieille méthode et appelle cette femme au nom exotique des Desperate Housewife.

– Liinettttte ! Lineeeeeeeeetttte !

 Je retrouve mon petit bout de lady égarée et apeurée.
Elle me regarde le regard hagard:

– Je vous ai perdu, j’avais peur.

 Je prends sous mon aile cette femme mûre, effrayée de se retrouver dans cette fête, au milieu des blancs et la ramène dans sa famille. Je crains de comprendre pourquoi être seule ici l’a alarmée. Je ne pose pas de question. Sa vie couvre une période bien plus sombre que l’absence de Lune de ce soir et sa peur me transperce.
Elles se protègent les unes, les autres. Un besoin d’être ensemble. Elles sont groupe solidaire avant d’être individu.

Le show est terminé. On a rangé la tradition dans les grandes malles des boites crâniennes. La réalité reste, demain elles repartent pour Yuendumu où le prix des denrées coûte un bras.
– On va à Coles. m’assurent-elles.
– Vous voulez aller au supermarché… maintenant ?
– On va à Coles.

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Nos petites femmes vont fêter la fin de la cérémonie dans les étalages éclairés aux néons. Nous ne les accompagnons pas cette fois là…Enfin si, quand même, mais que jusqu’à l’hôtel.

Dans ce bus pour cinquante personnes nous nous retrouvons finalement trois après avoir déposés la grande partie de la troupe.

La dernière danseuse a un autre hôtel.

Elle est élégante, superbe, dans sa petite coupe courte grisonnante. Elle ressemble à Truganini. L’ultime femme aborigène de la Tasmanie. Elle est hyper consciente de tout. Véritable trait d’union entre le passé de son peuple et son présent. Elle est porteuse de la tradition et juge d’aujourd’hui. Parfaitement bilingue Walpiri, anglais, elle pourrait être femme occidentale dans son maintien mais est viscéralement aborigène.
Elle a les traits froids et le sourire rare. Profondément blessée de ce qui est arrivé aux siens et de ce qu’ils deviennent mais ne le dit pas…peut-être que je me trompe. Elle est pudique de ses sentiments devant les cadillas.
C’est la femme qui m’a confié le Big Cloud, sans que je sache très bien quoi en faire.
Greg et moi lui demandons avant qu’elle ne descende si elle a besoin de quelque chose. Non.
– Il est l’heure de vous occupez de vous maintenant. Vos femmes sont toutes arrivées à bon port. Il est l’heure de pensez à vous.

et quittant le bus :
-Je n’aime pas les blancs. Mais vous… je vous aime bien.

Ses paroles clôturent la nuit.

Nous sommes le 13 octobre. Greg a 29 ans. Nous nous endormons avec un goût de tisane à la menthe, vidés par la fatigue.

Le réveil nous ramène de très loin. Le festival est fini et il est encore tôt. Mais on se lève pour dire au revoir à nos ladies…et sûrement adieu.
Leurs chambres sont déjà vides. Leurs sacs sont dehors. Je me demande comment elles se réveillent, ah oui, le portable…comme nous. Elles sont entre fière tradition et modernité insoupçonnée. Cela doit être dur à gérer.
Nous les cherchons du côté de la salle du petit déjeuner. Nous tombons sur Gracie qui part dans le chemin contraire. Salutations matinales classiques. Nous l’accompagnons.

– Et votre petit dej ?
C’est elle qui veut s’occuper de nous maintenant. Nous sourions.
Elle interroge.
– Vous prenez le bus avec nous ?
– Non.
– Vous revenez à quelle heure alors ?

**Silence.**

– Nous ne revenons pas.
– Vous allez où ?
– Dans le Sud, à Coober Pedy, puis Adelaide.
– Vous revenez quand ?

**Silence.**

-Nous ne revenons pas.
La femme m’attrape le bras et regarde droit devant elle.
– Nous allons en Nouvelle Zélande après.
– C’est beau, la Nouvelle Zélande.

Les adieux vont être durs.

Elle nous conduit vers notre groupe. Le climat s’allège.
– Mon swag* il est là bas !
Le matériel de camping-dans-une-chambre-d’hotel de Judy est rose comme sa petite veste.
– Ma couverture ! La verte !
– Mon sac, le gris, à côté du banc.
Après un petit quart d’heure, nous sommes tous assis en tailleur devant l’hôtel en attendant leur bus. Une autre femme demande :
– Vous revenez quand ?
Gracie leur explique en Walpiri. Elles nous regardent toutes avec de grands yeux, un peu perdus.
On est mal à l’aise.
Elles nous remercient toutes d’avoir pris soin d’elles, d’avoir veillé sur elles.

Elles inversent les rôles. C’est elles qui nous ont tant données.

Je prends dans mes bras ma voisine attendrie, serre la main de l’acariâtre fil de fer Judy Watson, petite chose qui parait solide comme le plus dur des rocs et qui pourtant prenait la main de Greg comme une petite fille, pour aller voir l’inconnu qui la demandait à l’office. Drôle de duo, mamie Watson lui arrivant à peu près au coude…

Aujourd’hui, elle serre nos mains avec une petite voix éteinte qui répète :

« Ouiwarpa. Ouiwarpa. » (= Quelle tristesse.)

Le mot se répand chez nos ladies.

Ouiwarpa… Ouiwarpa… Certaines baissent les yeux. L’hypocrisie est occidentale. Elles, ce sont des femmes de danses et de chants…pas de théâtre. Leur émotion est l’écho de la mienne, pudique mais entière.

– Thank you.

Le départ arrive. On pack. Elles montent.
Le bus entier nous fait des signes, à nous, les petits blancs abandonnés sur le trottoir.

Mes yeux piquent. Je n’ai jamais aimé les aux revoirs alors d’habitude je ne les fais pas, préfère passer pour une handicapée des sentiments. Solution efficace. Mes gens ne sont pas dupes. Je préfère des aux revoirs qui résonnent comme un « à demain » même si le demain est plus ou moins long… Mais là il n’est pas long. Il est inexistant. Les chances qu’on se revoit sont tellement infimes qu’elles sont terriblement douloureuses.
Mes petites ladies me sourient de tendresse en me regardant chercher à ne pas chialer et rient devant le remake de la danse de la pluie de Grégory.

 Le bus s’envole avec nos petites étoiles de la scène au sable mou.

Je garde dans ma poche… une plume blanche et un morceau de tissu tous les deux teintés de l’ocre rouge qui avait imprégné leur peau.
Je garde dans la tête le souvenir de ces femmes charismatiques aux seins lourds.

Contre le passé, contre la violence occidentale, contre l’oubli, pour les ancêtres, pour la vie, pour leur culture, pour un nouvel horizon.
Ce sont nos tendres guerrières Walpiri, en équilibre sur un fil tordu.

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*swag: est un espèce de sur-sac de couchage, en tissu épais et résistant, imperméable avec fermetures éclair qui intègre un matelas en mousse assez épais.

Nous sommes aujourd’hui en décembre, j’ai contacté le centre d’art pour que je sois sûre qu’il distribue les photos à mes ladies. Le petit tas de papiers glacés devrait bientôt leur arriver.
J’apprends le coeur fendu que Gracie-la-fleurie et Paddy-la-boitillante ont rejoint les étoiles des sept soeurs*.
Reposez en paix mes nonnies*. I keep you in my heart.

Merci Karim pour ces flammes à notre Dame de Buissante. Merci Thibault pour ces notes que tu as jouées. Merci pour les mots que vous m’avez envoyés. Je suis sûre que ces hommages sont arrivés jusqu’à elles.
Merci pour elles.

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*les sept soeurs : une légende aborigène où sept soeurs finissent par devenir des étoiles ….

*nonnies : mamies