Sonnez l’Angelus

Les gens ont des réactions bizarres face aux autostoppeurs … Celui qui nous a pris ce jour là, nous avait vu, avait continué sa route et quelques dix minutes plus tard, était revenu sur ses pas prouvant ainsi la puissance motrice de la culpabilité.

Celui qui le succéda nous conduit jusqu’à Murchison au son d’ACDC. Nous retrouvons Clément pour une virée à notre rendez-vous manqué dans le parc national des Nelson Lakes. Nous avions jugé le thermomètre trop bas à l’époque. Avançant dans la saison hivernale, nous n’avions pas de meilleure chance mais nous avions l’expérience.

La randonnée traverse une forêt, des arbres enjambent les rivières pour nous aider ou nous piéger en les traversant. Le chemin devient vraiment atypique à travers des éboulis et la rivière qui se faufile à travers une végétation touffue engloutit nos pas dans la boue ou risquant notre équilibre sur des sauts de cailloux. Et puis plus rien.

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Nous rencontrons un possum sans vie, suspendu par un des pièges du DOC. Oui, pauvre possum. Mais il faut savoir que cet animal, importé évidemment, dévore quantité de feuilles. On estime à 20 000 tonnes, la quantité engloutie par la totalité des possums de Nouvelle-Zélande chaque nuit. Alors on utilise leur fourrure, une des plus fines au monde sans trop de cas de conscience. On la mélange bien souvent avec la laine de mérinos.

La randonnée est demandeuse puisque le sol est assez aléatoire.

Mais quel incroyable paysage s’offre à nous au-dessus des montagnes… le lac Angelus remplit le cratère d’un bleu de lagon et détonne avec le vert électrique de ses abords. Il fait bien sûr trop froid pour s’y aventurer mais il est difficile de ne pas penser à nager dans ces eaux pures. La hutte qui nous attend pour la nuit est là, modeste au milieu de ce petit paradis.

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Nous cuisinons du vin chaud et des pâtes chinoises avec le reste de la bouteille de rouge. On est bien.

Là encore, nous sommes les seuls campeurs avec notre vaillante petite tente orange -Clément dormant en hutte-. L’emplacement des campings est à une centaine de mètres de l’abris. Nous sommes sur le bras de terre qui sépare les deux lacs.Nous sommes à 1700mètres d’altitude, le vent s’engouffre et nous craignons qu’il emporte la tente dans les eaux froides du lac.

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Nous craignons pour la nuit, mais les nuages de la nuit ont atténué le froid. Notre réchaud a quelques faiblesses : il met le feu au gite. Heureusement, on commence à maîtriser l’urgence grâce à notre dernier copain cuisinier, nous étouffons les flammes en envoyant une casserole. Malgré maintes tentatives, nous ne parviendrons plus à le faire marcher correctement. Dans la fraîcheur matinale nous avalons café et porridge froid. C’est baveux. On part les derniers comme toujours. Nous escaladons encore un peu plus pour aboutir sur les crêtes des montagnes que nous regardions depuis la vallée. Si nous étions sur un autre continent, je ne serais pas étonnée de voir des petits drapeaux de prières ponctuant la marche à la manière du Népal. Puis la caillasse devient plus fine et nous marchons tranquillement, entourés de paysages doucement colorés jusqu’au van.¨

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Transalpine

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(photo web)

Nous voulions faire la Transalpine, un train mythique qui traverse l’ile du sud d’Est en Ouest par les Alpes. Les tarifs ayant flambés, nous oublions et continuons la méthode du stop. La transalpine, oui nous la ferons mais par la route.

Une voiture s’arrête. Un drôle de monsieur est au volant. Il déplace ses chiens pour nous permettre de rentrer. La décoration touffue de la voiture et l’odeur qu’elle dégage nous fait espérer que notre descente ne soit pas trop loin. L’homme est effrayé. Il nous avertit des dangers de cette route et nous fait promettre au moins une dizaine de fois que nous ne ferons pas de stop à la nuit ici, agrémentant son discours d’un tas d’histoires glauques.
Il nuance :
-« Mais moi , ça ne compte pas, je suis un faible.  »
Il nous dépose je ne sais où, au milieu d’un virage à la circulation bien trop rapide. Je ressasse son conseil.
-« Et si vous ne trouvez personne, ma maison est là, vous y passerez la nuit. Mais ne faites JAMAIS … »
de stop la nuit, merci. Mais on préférerait ne pas venir chez vous non plus.

Notre second chauffeur est plus accueillant. Il travaille dans la construction à Christchurch (il en a du boulot) et prendre des autostoppeurs, le divertit. Il nous tend des canettes déjà mélangées de bourbon-cola, typique australien, typique néo-zélandais. Il prévoit de monter un projet de ferme autosuffisante. Il voudrait bien essayer de faire sa propre électricité avec une rivière et un tambour de machine à laver…

Puis, c’est un couple de professeurs des écoles qui nous dépose à Springfield. Un gros donuts géant nous y attend, offert par les producteurs des jaunâtres Simpson.

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Nous trouvons aussi des vesses de loups perlées, des rosées des près et des mures sauvages … Le lieu nous semble accueillant ! Et la pluie recommence à tomber de paire avec la nuit. Nous nous rendons à notre camping, se protégeant quand même du triste tableau que notre premier conducteur nous avait dépeint. Un mobile-home s’arrête. Des français. Emilie et Béranger.
-« On vous emmène au camping ? »
Il est à cent mètres mais ils insistent et il pleut. Alors, ils nous proposent Rhum et Chartreuse pour se réchauffer.

Le jour protecteur revient. Nous sommes fatigués. Des nuits agitées, du froid, ou du rhum ?

Un homme nous accompagne jusqu’à Arthur Pass le fameux. La route qui mène à lui ne ment pas. Elle est majestueuse, ensorcelante. « Que la montagne est belle » disait le chanteur. Comment s’étonner que la Nouvelle Zélande ait été choisie pour incarner des terres imaginaires, des mondes fabuleux.
Nous nous renseignons sur les randonnées au département de conservation quand nous retrouvons des visages connus, croisés plus tôt à Te Anau, juste avant les Milford Sound. Une chance pour nous, ceux-là avait franchi le cap de nous mettre à l’arrière de leur break.
Martin et Emilie font le tour du monde. Nous parle du Népal, des poils de Yak qui me font rêver tant ils ont l’air divinement chaud, du chemin de grande randonnée GR20 en Corse …

Martin est cuisinier et même si vous n’attendez pas longtemps avant qu’il vous en parle, il se trahit dans ses gestes …. De la souplesse dans le poignée, de la feinte frivolité quand il envoie une pluie d’épices dans son plat, une envie de gouter à tout, comme un nez aurait envie de sentir la terre entière pour en maîtriser les effluves.

Emilie, plus discrète dans ses occupations est biologiste. Elle ne traite pas des sujets drôles comme les drosophiles mutantes de mes cours de bio de lycée mais plutôt des maladies dégénérescentes (ah on rit moins là ?). Elle a le sourire franc et lumineux.

Nous nous glissons à quatre dans la tente pour éviter ces harceleuses sandflies pour l’apéro. Puis la nuit en altitude, la fraicheur des milles mètres. Nous gardons le sourire à défaut de garder nos orteils et des doigts vivants.

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Au réveil la brume est lourde, épaisse. Nous commençons l’ascension d’Avalanche Peak, connu pour piquer les muscles par sa difficulté et ses éboulements. Cela faisait une éternité que nous n’avions pas eu le sac d’un poids normal sur le dos … La montée me semble légère, facile. Je suis rassurée. Je craignais de ne plus être capable de faire des randonnées tant la douleur de celles passées était un mauvais souvenir. Pas tant des jambes mais des épaules. Martin a tracé dès le départ, nous savourons la montée, la vue, le fait que nous dépassions les nuages et que nous sommes de nouveau face à une mer duveteuse. Nous ne croisons personne sur le chemin. Le chemin arrive sur les sommets. Une vue a 360° sur des paysages alpins nous attend. C’est gris, c’est vert, c’est jaune, c’est blanc… c’est changeant. Un forêt qui monte doucement, puis une crête équilibriste qui semble souligner la hardiesse des pentes. Des vagues de montagnes, puissantes et élégantes. Un de mes plus beaux paysages de Nouvelle-Zélande, à n’en pas douter.

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Par empathie, on nous donne des matelas et des couvertures en plus car le ciel superbement étoilé a encore fait chuter les températures. Mais au réveil, le soleil qui s’active à nous réchauffer doucement, ne peut que nous faire oublier la nuit pour nous concentrer sur la douceur que quelques rayons procurent au moment.

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Nous terminons notre Transalpine pour nous échouer à Greymouth où un fish & chips du gars du coin nous remplume de ce gras perdu des nuits à trembler.

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Cela nous fait bizarre de retomber sur des routes que nous avons déjà empruntées. C’est un moment clef du voyage… on se dirige incontestablement vers l’Île Nord.
Deux heures d’attente avant qu’une voiture ne nous prenne.
En trois heures nous faisons 30kms.
Une fois déposés, il nous faudra encore deux heures avant d’être cueillis par une seconde.

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Mais il fait beau et on sait – Oh combien ! – ce détail est important.

Un groupe de botanistes nous prend dans leur voiture qui sent le lisier. Adorables. Ils nous déposent à un carrefour celui-là même, où quelques semaines plus tôt, clément nous avait déposé et où quelqu’un s’était arrêté avant même que nous finissions de dire au revoir au petit français. Et là étonnamment, ça n’a pas manqué non plus !

Un homme nous embarque pendant qu’une de nos botanistes me glisse deux barres de chocolat dans la main. God save les kiwis !

Il ouvre son coffre, il est rempli de bidoche congelé… Ca a de quoi désarçonner.
-« Pas de soucis, posez vos sacs par dessus ! »

L’homme au volant se marre, il se marre tout le temps alors que Greg a les yeux rivés sur son compteur. Il est a 110kms/h sur les routes sinueuses, 90 dans les virages limités à 45. Il tourne au Red Bull pour se réveiller, une autre de ses techniques est aussi de prendre des auto-stoppeurs. Pour la même raison que le Red Bull : ça le garde éveillé. C’est rassurant. Je partage l’arrière avec son molosse qui titube à chaque virage. Mais la bête est bonne pâte et me laisse -presque- la bloquer contre moi. Bien sûr l’homme conduit sans ceinture. De toute façon, à la vitesse où il roule, je ne suis pas sûre qu’elle soit d’une profonde utilité. L’homme fait des compétitions de wood-chopping… Le croyez-vous ? Et il détruit la promesse que je m’étais faite en m’annonçant que cela était fini pour la saison .

Nous nous arrêtons enfin. Il en profite pour sortir une pipe -de drogue-.
– Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas que je vous emmène plus loin ?
Non, merci, c’est très gentil mais là, non, vraiment pas …

Entre le virage d’une route départementale et une voie ferrée … nous plantons notre tente dans un petit coin de verdure.
Sereins.

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Tekapo en dégradés

La nuit a été frigorifique, nous faisons des nuits en pointillés. Nous ne quittons pas Paul et Marie, nous nous séparons juste le temps de la route qui mène à la ville et au lac de Tekapo. Ils n’ont pas changé d’avis sur la sécurité.

On est pris par un homme aux cernes en rizières. Deux minutes plus tôt, il a fait demi-tour devant nous, dans un virage sans visibilité. Il est roux et fatigué. On se force à lui parler très régulièrement, de peur qu’il s’endorme. Le lac Tekapo endort un petit village du même nom où une petite église en pierre attire les mariés et les touristes. Les premiers se protègent des seconds en mettant des gorilles à l’entrée qui veillent à ce qu’aucun chinois ne vienne coller son visage contre les vitraux pour assister à l’office. Je suppose qu’ils ne veulent pas développer les photos du grand jour et apercevoir la tête d’un inconnu lorgner la mariée.

J’imagine.

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On se dandine ensuite dans une petite ascension jusqu’à atteindre l’observatoire de Mount John où la vue sur les plaines plates, entourées d’eau et pourtant désertiques nous sidèrent. Les couleurs et les détails de la Nouvelle-Zélande savent envouter avec subtilité.

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Le soir venu, un homme nous alarme de l’arrivée d’un cyclone sur le pays du long nuage blanc. Un cadeau du Vanuatu parait-il. Des vents à plus de 130kms/h sont prévus. Nous nous sentons soudainement fragiles dans notre tente. Il y a la peur du lendemain bien sûr mais aussi l’excitation puérile d’un danger qui semble effrayer juste assez pour exciter les sens mais ne pas inquiéter.

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Le vent commence à se lever soulignant le froid.
Nous nous empilons à quatre dans la tente pour un apéro collé-serré.

Le lendemain, le ciel est gris mais le vent est tombé. Les nuages qui bouchent l’horizon nous ont protégés du froid. Parenthèse de sommeil. Paul et Mary partent en avant, nous reprenons le stop avec l’inquiétude du cyclone Lucy qui doit débarquer. Le stop ne marche pas ce matin de dimanche et les nuages s’annoncent de plus en plus menaçants. Puis la pluie tombe. Nous sommes Moïsés* par un couple d’anglais qui nous conduisent à mi-chemin. C’est le moment de faire une pause au sec en regardant tomber la pluie sous un auvent.
Tekapo – Fairly
Fairly – Géraldine.

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A Géraldine, petite bourgade gourmande, nous nous arrêtons déguster chutneys et confitures. Puis, une nuit et quelques gouttelettes plus tard, nous commençons l’ascension du Mont Sunday qui nous fait l’honneur d’être au soleil. Quand nous arrivons au chalet pour y passer la nuit, nous sommes seuls. Et heureux. La soirée bières, chandelles, et Sixto Rodriguez près du poêle, englue la vie dans le moment présent.

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Le lendemain, une foule de jeunes en sueur arrive pour nous prouver que nous sommes de sacrés veinards d’avoir passés cette soirée dans l’intimité.

Ce deuxième jour de randonnée est embrumé rendant les toiles d’araignées encore un peu plus poétiques et les arrêts de bus des montagnes encore plus énigmatiques. Non, ne cherchez pas, il n’y a pas de routes qui passent ici.

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Christchurch se profile, nos jours ensemble se terminent. Nous partageons une dernière soirée au bord d’un lac, accompagnés de mauvais vin.

Marie est une bout-en-train. Un petit morceau de caractère aux mollets bien trempés. Elle aime faire des vocalises dans les pièces avec une bonne raisonnance, comme les chalets, par exemple. Elle ne plaisante pas avec la sécurité routière. Et a une coupe de cheveux qui déchire tout !

Paul est un grand brin amoureux. Il a été fasciné par la vie de Corto Maltese. Il n’aime pas être réveillé par les élans bruyants et musicaux de Greg. « Boooooooorn in the USAAAAA »

Ils nous prennent pour des warriors à dormir en tente sous la pluie et le froid, à manger ce qui tombe par terre, à faire oublier la douceur d’une douche chaude sur nos peaux et bannir le mot « auberge de jeunesse » de ce voyage.

Lors de l’annonce du Cyclone Lucy, ils nous demandaient
-Et si vous vous preniez trois jours de pluie non-stop, vous prendriez un hôtel ?
-Ca ne nous est jamais venu à l’esprit.

Trois jours de pluie consécutifs… nous ne nous doutions pas que ce ne serait qu’un échantillon de ce qui nous attendait sur l’île du Nord !

Les deux ne se connaissent pas depuis si longtemps que cela mais s’essaieront, pour sûr, à « Robinson ou la vie sauvage ». Comme cette dernière nuit l’a prouvée quand ils ont montés la tente à coté de leur van. Nous les reverrons dans le pays gaulois… si un jour ils reviennent de l’épopée Néo-Zélandaise.

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——– Photos en vrac——-

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*Le prénom Moïse veut dire « sauvé des eaux. »

Caples

Nous sommes à l’entrée du tunnel qui nous éloigne des fjords. La montagne est haute, grise et puissante. Il y a eu de nombreux accidents dans cette zone dûs aux avalanches.

 Lorsque l’on entre dans le tunnel, on est surpris par sa rugosité. C’est un tunnel creusé à même la roche. Quelques lumières l’éclaire faiblement et pour le peu que je m’en souvienne, il n’y a pas de sortie de secours.

Si un jour vous voyez de la lumière au bout du tunnel… il se peut que ce soit de celui-ci. C’est comme cela que je l’imagine.

Mais aujourd’hui, à sa porte il n’en est rien. Ses cerbères sont de sympathiques perroquets alpins. Unique au monde bien sûr, pensez donc… un perroquet de montagne, c’est une blague. Eh bien non. Qui n’est pas aventurier, qui n’est pas féru d’ascension n’est pas néo-zélandais. Alors oui, les kiwis ont le seul perroquet des sommets : le Kea. Un incroyable fauteur de trouble, un joueur invétéré, un hyper actif incontrôlable… et un gourmand des inventions humaines. Il aime les élastiques, les fils et a un gros coup de coeur pour le caoutchouc. Particulièrement, celui de votre voiture ! On l’aime chez les autres, on le déteste chez soi. Mais même quand il s’attaque à vos possessions on ne peut pas s’empêcher de rire et de lui pardonner. C’est un gamin qui en joue bien.

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Ah ! le feu est vert, on peut avancer…

The Divide est le point de départ de trois randonnées, dont la fameuse Great Walk « Routeburn Track », que 13 000 personnes empruntent chaque année ainsi que les discrets chemins de Greenstone et Caples.

Nous avons choisi la dernière, moins fréquentée.

Nous partageons le chemin avec les autres randonneurs jusqu’au petit détour de Key Summit. Un plateau en altitude qui garde, tel un jardin, toutes les beautés de la faune alpine avec vue sur des sommets enneigés. Ce petit rien du tout de sommet surprend, séduit et vous laisse rêveur. The place to see pour notre Picard.

C’est un endroit où attendre que les minutes s’égrainent. Vous en apprécierez mieux la quiétude, élément saisissant de sa beauté.

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Nous plantons notre tente au milieu de la prairie. De grandes herbes dorées se laissent chatouiller par le soleil qui s’étire. Nous sommes bien. Nous sommes seuls. Jusqu’à ce que Guillaume fasse son apparition. Si vous ne pouvez que l’entendre il a un accent à couper au couteau (au fromage) qui n’invite pas aux rêves, pas aux miens en tout cas. En effet, il résonne, peut-être malgré lui des belles intonations franc-comtoises. A le voir, il est blond des blés avec de grands yeux bleus curieux et un sourire qui invite à jouer de l’humour pour le provoquer. Il gambade seul. A du se racheter tout un attirail de randonnée en Nouvelle-Zélande alors qu’il avait tout ce qu’il fallait en France. Drôle de choix économique quand on connait le prix exorbitant du matériel de « tramping »* chez les Kiwis ! Décathlon et sa marque Queshua seraient accueillis les bras ouverts. La terre étant de taille plutôt ridicule, nous apprenons que nous avons une connaissance en commun. Notre cher Kamel qui nous avait cueilli à la sortie de Te Anau. La côte Ouest est un microcosme qui nous remettra régulièrement sur la route des connaissances au point d’en transformer certaines en véritables liens d’amitiés. La nuit finit par recouvrir le camp et les degrés gagnés avec difficultés dans la journée, s’envolent.

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Au matin, nous ne sommes plus dans une prairie, nous ne sommes plus entourés de montagnes, ni même de forets. Tout a disparu. Un épais brouillard contraint notre vision à se satisfaire de quelques mètres. Notre horizon n’est plus qu’un vague souvenir.

Il fait froid et humide, bien évidemment.

La route que nous suivons a tout d’une route en chantier. Ici des éboulis, ici des tranchées. La journée commence difficilement. Nous montons. Nous montons sur une route sinueuse qui ne semble pas vouloir finir.

Sommes-nous déjà haut ?

Avons-nous avancé ?

Nous ne pouvons le dire. Nous ne voyons rien. Nous marchons dans des brumes qui nous enferment dans un monochrome déprimant.

Et puis, sans prévenir, la luminosité s’accroit. S’accroit encore jusqu’à ce que nous dépassions carrément les nuages. Nous sommes sur un sommet. Le ciel bleu éclate, laissant dans notre vallée une rivière de nuages éclatante. Les beautés imprévues ça vous laisse toujours un peu songeur, un peu niais avec le sourire aux lèvres et un coeur qui bat fort et pourtant en silence. Vous en profitez, heureux. Le paysage s’amuse à dévoiler ou à cacher. Votre bonheur est mouvant, à l’image du spectacle.

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Mais comme toujours, la Nouvelle-Zélande vous rattrape et les nuages viennent à vous. Vous vous réveillez avec un frisson et continuez votre route.
Le plateau se déroule jusqu’à nous jeter dans une forêt qui deviendra notre soeur de marche pour un temps malheureusement indéfini.
Deux heures ? Trois ? Peut être quatre ? Trop en tout cas.
Le paysage change pour nous faire déboucher dans une vallée où nous ajoutons quelques couleurs à nos monochromes de la journée.
Gris le matin.
Vert le midi.
Puis du jaune, quelques notes de bleu, de violet.
Et le bruit de la rivière qui rythme nos pas.

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Nous rêvons d’arriver. Nos sacs nous pèsent. Me faisant me demander si je suis encore capable de marcher sur des randonnées longues. Le chemin n’est pourtant pas difficile mais je perds soit une épaule, soit une omoplate, soit un morceau de colonne. Ces douleurs de débutante me lassent. J’ai hâte de déposer ma maison mais surtout mon fardeau.
Nous voyons la hutte qui a l’air de ne jamais se rapprocher.

Sous l’abri, après avoir déposés nos carcasses, nous regardons au loin les nuages lourds que nous avons quittés ce matin, qui se battent pour essayer de passer les montagnes et nous rejoindre. Ils y parviendront en fin de soirée, nous soulignant encore pourquoi personne ne dort en tente sur ces chemins de randonnées néo-zélandais.
Nous rencontrons :
– une asiatique sautillante dont les jambes sont déjà au fait de nos plus sérieuses grandes randonnées françaises : les Pyrénées, les alpes et la Corse. Et qui pourtant nous dira : « Mais vous êtes jeune, c’est difficile pour nous autres la randonnée ».
– un douanier kiwi qui a passé le plus clair de son temps dans les aéroports pour le contrôle des fruits et légumes terroristes qui essaient de passer les frontières ultra-protégées de son doux pays.
Ne plaisantez pas avec ça. Une pomme oubliée dans votre sac : 400 dollars d’amende à payer sur place. Pas la peine d’essayer de négocier.
Il nous confirme également la rumeur que les fruits australiens sont passés à la radioactivité pour tuer toute possibilité de propagation de la fruit fly (la mouche du fruit), fléau made in Australia.
– « Mais rassurez-vous, seulement à faible dose. »
Me voilà rassurée!
– « On peut aussi les laisser au réfrigérateur pendant trois jours, ça tue les oeufs. »
Et bien… faites donc cela plutôt, non ?

Le débat suit le cours de la Lune au son d’un couple de québécois qui, décidément, ne parlent pas le même français.

 

– Qui êtes vous ?

La lampe de poche pointée sur nous, nous répondons à la Ranger (gardienne de la hutte), qui s’inquiète de voir des inconnus déambuler à cette heure sous la pluie.

– Nous sommes les campeurs. nous allons dans notre tente.

Non, assurément… Ils n’ont pas l’habitude des campeurs.

 

 

MacDonnell cherche son nez rouge

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Après avoir laissé nos ladies, on avait le coeur un peu à l’envers. Il ne faut pas croire qu’un voyage c’est de tout repos… Les entrailles toujours en mouvement : la tête, les sens, le coeur, valsent à mille temps. Je réapprends souvent à marcher depuis que l’on est sur le sol australien. Mais sur un autre sol, ça aurait été pareil. Juste se mettre à nu, se tester, s’essayer à la vie, ça fatigue un peu.

On s’organise des marches du dimanche sur la chaîne montagneuse à la beauté sauvage des MacDonnell Ranges. Ca va nous faire du bien. La marche, ça fait toujours du bien. On devient céphalopodes, on marche sur notre cerveau jusqu’à le faire taire.

Cela faisait au moins l’éternité que nous n’avions pas chaussé nos randonneuses. Nous continuons avec dans la tête, les légendes aborigènes. Ces chaînes de montagnes, ce sont les chenilles de Mparntwe qui les ont créées. Elles ont pénétré notre monde à travers une brèche dans la roche avant de ramper sur le paysage et de donner naissance à la topologie actuelle. Nous explorons les gorges, les points d’eaux :

Serpentine Gorge, Ormiston Gorge, Ellery Creek , Glen Helen Gorge suivant le tracé des lombrics sacrés.

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A Ochre Pitts, la carrière de craie, j’ai l’espoir de prélever quelques grammes de craie pure et oxydée en souvenir des peintures corporelles de mes ladies. Je sors mes trois petits sachets. Un pour le jaune, un pour le rouge, un pour le blanc… et les range aussitôt quand on me laisse apprécier un panneau stipulant l’interdiction qui pèse sur ce genre de prélèvement… 5 000 dollars, ça fait cher la mémoire.

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Nous quittons les MacDonnell pour la vallée majestueuse des rois : Watarrka, ou Kings Canyon. Deux cents cinquante kilomètres nous en séparent, nous choisissons le raccourci qui nous fait gagner 100 précieux kilomètres : une piste non goudronnée par endroit dangereusement sablonneux. L’expédition a commencé, avant même d’atteindre la vallée.

Nous y sommes. Nous montons au sommet très rapidement. Le chemin est abrupte mais la montée ne dure pas. Nous surplombons les plaines. Je commence à tousser méchamment, cela fait quelques jours déjà. J’enroule ma gorge et respire dans un tissu imbibé d’eucalyptus dans l’espoir, au mieux que cela m’apaise, au pire que cela ne dégénère pas.

Nous dépassons un groupe de touristes asiatiques écorcheurs de paysages et d’espaces avant de savourer enfin la beauté du lieu. Nous admirons l’amphithéâtre enchâssant une gorge de trois kilomètres de long creusée dans une montagne de grès. Les falaises verticales qui atteignent deux cents soixante dix mètres de hauteur sont d’un rouge puissant, striées de bandes sombres. Le lieu est magistral, taillé au couteau par une lame divine.

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Au sommet, on découvre des dômes de grès rouges. Selon le Dreaming, ce sont de jeunes Kuninga, de petits marsupiaux, qui voyageaient à travers le Watarrka qui se sont arrêtés ici pour se reposer. Chaque dôme représente une de ces petites créatures. A leurs pieds, le canyon abrite un trou d’eau permanent qui alimente un étonnant jardin tropical au nom (un peu pompeux) de jardin d’Eden où poussent eucalyptus bleus, palmes et cycas.

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Le trou d’eau un peu plus loin est protégé par le serpent arc-en-ciel. Les aborigènes veillaient à ne pas déranger le reptile, convaincus que sans sa protection, le lieu s’assécherait très vite. Jamais ils ne se permettaient de nager et s’avançaient toujours avec le plus grand respect pour recueillir l’eau et ne pas froisser l’ancêtre qui vivait ici.

Aux portes d’un des plus grands symboles australiens, nous partageons la nuit avec un dingo avant de nous rendre à Uluru.

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PS : HAPPY BIRTHDAY THIBALT