(photo web)
Nous voulions faire la Transalpine, un train mythique qui traverse l’ile du sud d’Est en Ouest par les Alpes. Les tarifs ayant flambés, nous oublions et continuons la méthode du stop. La transalpine, oui nous la ferons mais par la route.
Une voiture s’arrête. Un drôle de monsieur est au volant. Il déplace ses chiens pour nous permettre de rentrer. La décoration touffue de la voiture et l’odeur qu’elle dégage nous fait espérer que notre descente ne soit pas trop loin. L’homme est effrayé. Il nous avertit des dangers de cette route et nous fait promettre au moins une dizaine de fois que nous ne ferons pas de stop à la nuit ici, agrémentant son discours d’un tas d’histoires glauques.
Il nuance :
-« Mais moi , ça ne compte pas, je suis un faible. »
Il nous dépose je ne sais où, au milieu d’un virage à la circulation bien trop rapide. Je ressasse son conseil.
-« Et si vous ne trouvez personne, ma maison est là, vous y passerez la nuit. Mais ne faites JAMAIS … »
de stop la nuit, merci. Mais on préférerait ne pas venir chez vous non plus.
Notre second chauffeur est plus accueillant. Il travaille dans la construction à Christchurch (il en a du boulot) et prendre des autostoppeurs, le divertit. Il nous tend des canettes déjà mélangées de bourbon-cola, typique australien, typique néo-zélandais. Il prévoit de monter un projet de ferme autosuffisante. Il voudrait bien essayer de faire sa propre électricité avec une rivière et un tambour de machine à laver…
Puis, c’est un couple de professeurs des écoles qui nous dépose à Springfield. Un gros donuts géant nous y attend, offert par les producteurs des jaunâtres Simpson.
Nous trouvons aussi des vesses de loups perlées, des rosées des près et des mures sauvages … Le lieu nous semble accueillant ! Et la pluie recommence à tomber de paire avec la nuit. Nous nous rendons à notre camping, se protégeant quand même du triste tableau que notre premier conducteur nous avait dépeint. Un mobile-home s’arrête. Des français. Emilie et Béranger.
-« On vous emmène au camping ? »
Il est à cent mètres mais ils insistent et il pleut. Alors, ils nous proposent Rhum et Chartreuse pour se réchauffer.
Le jour protecteur revient. Nous sommes fatigués. Des nuits agitées, du froid, ou du rhum ?
Un homme nous accompagne jusqu’à Arthur Pass le fameux. La route qui mène à lui ne ment pas. Elle est majestueuse, ensorcelante. « Que la montagne est belle » disait le chanteur. Comment s’étonner que la Nouvelle Zélande ait été choisie pour incarner des terres imaginaires, des mondes fabuleux.
Nous nous renseignons sur les randonnées au département de conservation quand nous retrouvons des visages connus, croisés plus tôt à Te Anau, juste avant les Milford Sound. Une chance pour nous, ceux-là avait franchi le cap de nous mettre à l’arrière de leur break.
Martin et Emilie font le tour du monde. Nous parle du Népal, des poils de Yak qui me font rêver tant ils ont l’air divinement chaud, du chemin de grande randonnée GR20 en Corse …
Martin est cuisinier et même si vous n’attendez pas longtemps avant qu’il vous en parle, il se trahit dans ses gestes …. De la souplesse dans le poignée, de la feinte frivolité quand il envoie une pluie d’épices dans son plat, une envie de gouter à tout, comme un nez aurait envie de sentir la terre entière pour en maîtriser les effluves.
Emilie, plus discrète dans ses occupations est biologiste. Elle ne traite pas des sujets drôles comme les drosophiles mutantes de mes cours de bio de lycée mais plutôt des maladies dégénérescentes (ah on rit moins là ?). Elle a le sourire franc et lumineux.
Nous nous glissons à quatre dans la tente pour éviter ces harceleuses sandflies pour l’apéro. Puis la nuit en altitude, la fraicheur des milles mètres. Nous gardons le sourire à défaut de garder nos orteils et des doigts vivants.
Au réveil la brume est lourde, épaisse. Nous commençons l’ascension d’Avalanche Peak, connu pour piquer les muscles par sa difficulté et ses éboulements. Cela faisait une éternité que nous n’avions pas eu le sac d’un poids normal sur le dos … La montée me semble légère, facile. Je suis rassurée. Je craignais de ne plus être capable de faire des randonnées tant la douleur de celles passées était un mauvais souvenir. Pas tant des jambes mais des épaules. Martin a tracé dès le départ, nous savourons la montée, la vue, le fait que nous dépassions les nuages et que nous sommes de nouveau face à une mer duveteuse. Nous ne croisons personne sur le chemin. Le chemin arrive sur les sommets. Une vue a 360° sur des paysages alpins nous attend. C’est gris, c’est vert, c’est jaune, c’est blanc… c’est changeant. Un forêt qui monte doucement, puis une crête équilibriste qui semble souligner la hardiesse des pentes. Des vagues de montagnes, puissantes et élégantes. Un de mes plus beaux paysages de Nouvelle-Zélande, à n’en pas douter.
Par empathie, on nous donne des matelas et des couvertures en plus car le ciel superbement étoilé a encore fait chuter les températures. Mais au réveil, le soleil qui s’active à nous réchauffer doucement, ne peut que nous faire oublier la nuit pour nous concentrer sur la douceur que quelques rayons procurent au moment.
Nous terminons notre Transalpine pour nous échouer à Greymouth où un fish & chips du gars du coin nous remplume de ce gras perdu des nuits à trembler.
Cela nous fait bizarre de retomber sur des routes que nous avons déjà empruntées. C’est un moment clef du voyage… on se dirige incontestablement vers l’Île Nord.
Deux heures d’attente avant qu’une voiture ne nous prenne.
En trois heures nous faisons 30kms.
Une fois déposés, il nous faudra encore deux heures avant d’être cueillis par une seconde.
Mais il fait beau et on sait – Oh combien ! – ce détail est important.
Un groupe de botanistes nous prend dans leur voiture qui sent le lisier. Adorables. Ils nous déposent à un carrefour celui-là même, où quelques semaines plus tôt, clément nous avait déposé et où quelqu’un s’était arrêté avant même que nous finissions de dire au revoir au petit français. Et là étonnamment, ça n’a pas manqué non plus !
Un homme nous embarque pendant qu’une de nos botanistes me glisse deux barres de chocolat dans la main. God save les kiwis !
Il ouvre son coffre, il est rempli de bidoche congelé… Ca a de quoi désarçonner.
-« Pas de soucis, posez vos sacs par dessus ! »
L’homme au volant se marre, il se marre tout le temps alors que Greg a les yeux rivés sur son compteur. Il est a 110kms/h sur les routes sinueuses, 90 dans les virages limités à 45. Il tourne au Red Bull pour se réveiller, une autre de ses techniques est aussi de prendre des auto-stoppeurs. Pour la même raison que le Red Bull : ça le garde éveillé. C’est rassurant. Je partage l’arrière avec son molosse qui titube à chaque virage. Mais la bête est bonne pâte et me laisse -presque- la bloquer contre moi. Bien sûr l’homme conduit sans ceinture. De toute façon, à la vitesse où il roule, je ne suis pas sûre qu’elle soit d’une profonde utilité. L’homme fait des compétitions de wood-chopping… Le croyez-vous ? Et il détruit la promesse que je m’étais faite en m’annonçant que cela était fini pour la saison .
Nous nous arrêtons enfin. Il en profite pour sortir une pipe -de drogue-.
– Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas que je vous emmène plus loin ?
Non, merci, c’est très gentil mais là, non, vraiment pas …
Entre le virage d’une route départementale et une voie ferrée … nous plantons notre tente dans un petit coin de verdure.
Sereins.