Milford Sound

Il est 6h30 quand nous nous réveillons au campement.
Il fait nuit bien sûr.
Je crains encore plus de ne jamais arriver à temps.
Qui prendrait des autostoppeurs entourés de brume au petit matin ?

Je prends les devants. J’aperçois les lampes de poches d’autres campeurs qui frétillent dans la nuit.

** interrogatoire **
-« Vous allez à Milford Sound ? »
-« Vous prenez la croisière de 9h00 ? »

** yeux de biches – inutiles dans le noir – **
-« Vous pouvez-nous emmener ? »

Généralement je ne vais pas demander directement aux gens car très souvent ils se sentent obligés et je n’ai aucune envie de contraindre les gens à quoi que ce soit … mais là, il y a urgence.

Marie,
Paul,
Amélie.
Trois français nous font de la place, nous et nos sacs encombrants, dans leur petite voiture de location rouge. Heureusement, l’amie du couple, Amélie était de passage pour les voir, ils avaient donc dû louer une voiture, sans ça ils n’auraient pas eu la sécurité de nous prendre puisqu’ils voyagent en break le matelas prenant toute la place arrière.
Merci Amélie !
Pourtant française, elle nous vient tout droit de Mauritanie où elle bosse pour une boite canadienne… Elle est chercheuse d’or moderne à coup de relevés et de recherches.
Elle nous parle de l’or et du force feeding. Coutume qui cherche à engraisser les enfants filles en les obligeant à boire du lait mélangé à des dates pour qu’elles s’engraissent et que la dot du mariage soit plus élevé. Malnutrition, torture si tu n’avales pas, y compris ce que tu as régurgité. Encore du bonheur fait aux femmes.

Pour être plus gai, elle nous parle aussi de l’or des fous. Celui qui y ressemble mais n’en ai pas. Je lui montre aussi un de notre caillou trouvé sur Copland Track. Elle le regarde. Me le décrit, m’indiquant toute la cascade de sa composition.
Je suis bouche-bée et j’aime ça.
Elle conclut :
-« Tu as raison c’est un beau caillou. »
Cela confirme ma théorie de plus tu sais et plus tu vois. Pour les 99% de la planète ce caillou est un caillou, pour elle et pour les gens qui en ont les connaissances, c’est un roman, un morceau d’histoire, des possibilités, des formules, de la chimie, de la physique, des données.
Elle lit le caillou et c’est assez palpitant. Comme pour les gens qui savent faire parler un instrument, comme pour les gens qui décryptent les langues étrangères, comme pour ces gens qui connaissent les plantes, les champignons et autres bonheurs du vivant.
Mon caillou a beaucoup plus de classe aujourd’hui, mais toujours aucune valeur.
-« Tu ne le jettes pas ? »
-« Non. C’est un beau caillou. »

Et nous arrivons au Milford dont les enjeux économiques crèvent l’écran. C’est une plateforme touristique.
Nous arrivons au milieu de rien car il n’y a rien d’autres qu’un hôtel et un restaurant (pour résumer) mais nous nous garons près d’un Terminal. Un gros bâtiment pas très sexy qui est le carrefour des croisières, tout par de là. De là défilent une quinzaine de bateaux qui font chacun trois fois par jour le tour du fiord.

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(photo d’Emilie et Martin parce qu’ils ont trop la classe)

Nous montons à bord avec dans la tête notre optique de touristes pas de voyageur. Nous sommes donc satisfaits. Mitre Peak 1695m, l’un des plus hauts à pic du monde est bien haut, la cascade de Bowen (160m) et de Strirling (146m ) charrient bien de l’eau.
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(photo de Clément parce qu’il gère hachement mieux que moi)

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(Non, celle-là elle est de moi …)

Puis nous sortons du fiord, et la mer de Tasman s’étend à perte de vue.

A l’extrémité du fiord, à Anita Bay, les maoris avaient pour habitude d’affronter les rigueurs climatiques et les reliefs difficiles pour aller chercher du Jade, celui trouvé ici est différent d’autour d’Hokitika. Il y en a toujours et nous pouvons voir les barrières qui en délimitent la zone.

Le petit déjeuner servi à bord fait plaisir et le café soluble que nous transportons dans nos sacs finit de nous contenter.

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Nous savourons ce petit moment paresseux au gré des flots. Et c’est beau. Bien sûr c’est beau, bien sûr que les otaries nous amusent, que les pingouins à oeil jaunes nous fascinent, que les fiords ont un charme indéniable et que son écosystème est passionnant. L’eau du fiord est en effet bi-goût. Douce au dessus, dû aux précipitations et salée en dessous.

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Mais ce n’est pas notre plus belle endroit, non.

Il n’y a avait pas un nuage. Le ciel nous toisait de son bleu parfait. Les contrastes étaient un peu trop tranchés. Les parties au soleil était claires mais celles qui n’étaient pas encore baignés de ses rayons restaient ténébreuses, oubliant de donner une véritable harmonie au lieu.

Mais cela nous a-t-il plu ? Oui bien sûr. Mais pas séduit. Comme quoi …on devient délicats, non ?

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Quand nous arrivons sur le quai nos trois français nous attendent.
-« Cela vous dit que l’on vous ramène jusqu’à The Divide ? »

Si ce n’est pas merveilleux ça …?
Greg avait prévu un buffet à volonté mais nous ne pouvons refuser une telle gentillesse …
Et le Picard est un courageux.

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On a tué l’été indien

Une femme au cheveux noir de jais, à la peau tannée par le soleil, et à l’accent anglais goût paëlla nous réceptionne à la fin du chemin.
Nous osons demander d’où vient ce petit accent qui trainaille sans trop se cacher et qui pimente son anglais.
A notre surprise :
-« De Belgique.
(…)
-Ah mais je suis originaire du Chili. »
C’est plus clair.

Assise sur un bord de trottoir, m’appliquant à écrire en grosses lettre vertes QUEENST—, qu’une voiture s’arrête. Le nom de ma ville est estropié. Je n’ai pas eu le temps de le finir que Brandon, un San-Franciscain nous saisit au vol. Il voyage. Inde, Bouthan, Japon … Il a une voix d’un gentillesse un peu trop extreme pour que cela nous ramollisse pas le cerveau. Il pourrait faire des cassettes de relaxation ou diriger une secte… selon son égo.

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Nous laissant avec mes rêveries sur le Japon nous voilà à Frankton à la frontière de Queenstown la sportive, bifurcation qu’il nous faut prendre pour nous rendre au mythique Milford Sound.
Tout le monde en parle.
Tout le monde.
Il faut.
Je, tu, il, doi(s-t) y aller.
J’avoue ne pas me faire trop d’illusion à son sujet mais après ces randonnées sacs au dos, nous laisser nous faire transporter comme des touristes pendant une croisière nous séduit.
Il est temps de trouver un lieu pour la nuit, mais nous sommes encore en ville, planter la tente -orange- n’est pas d’une grande discrétion.

La bonne étoile ne nous regarde pas cette fois là pour le stop.
Là encore une heure et demie.
Après un pont au dessus duquel nous avions imaginé…ah non, il n’y pas de berges, un couple arrivant à sens inverse nous propose de revenir dans dix minutes pour nous prendre si nous ne sommes pas plus chanceux.
Nous ne le sommes pas.

Ces deux irlandais roublards en vacances, faisaient des allers-retours sur ce bout de route :
-« parce-que vraiment c’est trop beau. »
Lui, lâchait le volant des deux mains pour prendre sa photo par la fenêtre.
Nous trouvons une aire de repos et nous commençons à nous parer pour la nuit gardant un oeil sur les montagnes enneigées qui n’ont pas pourtant l’air d’être très hautes.

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La nuit sera froide.

Nous installons la couverture de survie sous la tente pour l’isoler de l’humidité du sol, je fabrique un matelas avec nos manteaux et nos serviettes pour Greg et pour ma part je testerais « je vide mon sac et le garde en matelas ». Chose qui fera beaucoup rire ceux que nous rencontrerons mais qui s’avèrera très efficace pour moi. L’essentiel est dans la débrouille.

Deux minutes à attendre au matin. Encore une discussion inutile, à savoir est-ce une bonne place pour faire du stop.
Une voiture se gare en catastrophe, alors qu’il pouvait le faire en sécurité sur l’aire de repos.
-« Ces sommets ne devraient pas être comme cela. C’est un temps de mois d’avril que vous avez là. Un temps hiver. Il fait 7°C à cette heure là, cette nuit ça a du descendre à 3. »
Les mauvaises nuits ont toujours une explication rationnelle.

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L’homme ne décroche pas un sourire, c’est un pince sans rire, un homme qui juge beaucoup. On lui parle de notre voyage :
-« Un an et demi en Australie et trois mois en Nouvelle Zélande ? Vous avez tout faux. »
On aimerait que ce soit une plaisanterie mais c’est difficile à penser.
On lui offre un café dans un bar-gallery au milieu de nulle part.

Te Anau.
Nous y sommes.
Heureux de quitter la voiture de cet homme, le climat était trop lourd.

Nous nous renseignons sur les croisières. Nous optons pour Go Orange (il mérite ma petite publicité). La femme de la compagnie nous renseigne sur ses prestations mais aussi sur les randonnées aux alentours, sur la route qui nous mène à Milford, le sourire au beau fixe quand elle apprend que nous sommes autostoppeurs, elle nous conseille étonnement :
– « Ne montez jamais avec des asiatiques. »

Première voiture, une seconde.
C’est un Tchèque qui nous cueille, au nom surprenant de Kamil. Il vient de la capitale, de Prague. Il nous raconte quand il partait avec ses amis dans les paysages nordistes quand il était jeune:
– » Le coup de la vie était affolant pour nous, un peu près vingt fois celui de notre pays ! Alors on est parti avec un mois de nourriture pour quatre dans la voiture… »
Le temps passe.
Kamil est photographe amateur, un peu astronaute parfois mais un coeur que l’on sent entier. Il aime les gens, les rencontres, les histoires.

La route de 120km qui mène à Milford Sound est connue pour être une des plus belle du pays. Mais ne soyez pas déçu si ,à vous, elle ne vous dit rien de plus qu’une route sympathique. Vous ferez partie des critiques, des gens qui se plaignent pourquoi pas … des gens qui nous ressemblent. La vallée d’Eglinton a son petit charme grâce aux Red Tussock, longues herbes jaunes orangées, qui ondulent au moindre souffle du vent me rappellant Bastien et Falkor d’une histoire sans fin. Une trentaine de kilomètres plus loin, les gens défilent pour se rendre à « Mirror Lakes », un lac, plutôt une sorte de marécage qui en l’absence de vent reflète les montagnes. Evidemment il y avait du vent et j’ai du mal à imaginer qu’avec la petitesse de la surface on y voit quelque chose de renversant. Nous nous arrêtons avant The Divide, départ de notre prochaine randonnée.

Nous sommes aux portes de Milford Sound, à quelques dizaines de kilomètres seulement mais j’ai peur que nous ne puissions pas trouver de voiture pour arriver
demain matin
à 8h30
pour réserver notre croisière.

Je veux celle qui part à neuf heures pour espérer voir les nuages qui font des paysages néozélandais ce qu’ils sont.
A la limite de l’enchantement,
à la limite de l’ésotérisme.
Des paysages qui vous touchent sans explication.
Je veux donner cette chance aux Milford Sound.