On a tué l’été indien

Une femme au cheveux noir de jais, à la peau tannée par le soleil, et à l’accent anglais goût paëlla nous réceptionne à la fin du chemin.
Nous osons demander d’où vient ce petit accent qui trainaille sans trop se cacher et qui pimente son anglais.
A notre surprise :
-« De Belgique.
(…)
-Ah mais je suis originaire du Chili. »
C’est plus clair.

Assise sur un bord de trottoir, m’appliquant à écrire en grosses lettre vertes QUEENST—, qu’une voiture s’arrête. Le nom de ma ville est estropié. Je n’ai pas eu le temps de le finir que Brandon, un San-Franciscain nous saisit au vol. Il voyage. Inde, Bouthan, Japon … Il a une voix d’un gentillesse un peu trop extreme pour que cela nous ramollisse pas le cerveau. Il pourrait faire des cassettes de relaxation ou diriger une secte… selon son égo.

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Nous laissant avec mes rêveries sur le Japon nous voilà à Frankton à la frontière de Queenstown la sportive, bifurcation qu’il nous faut prendre pour nous rendre au mythique Milford Sound.
Tout le monde en parle.
Tout le monde.
Il faut.
Je, tu, il, doi(s-t) y aller.
J’avoue ne pas me faire trop d’illusion à son sujet mais après ces randonnées sacs au dos, nous laisser nous faire transporter comme des touristes pendant une croisière nous séduit.
Il est temps de trouver un lieu pour la nuit, mais nous sommes encore en ville, planter la tente -orange- n’est pas d’une grande discrétion.

La bonne étoile ne nous regarde pas cette fois là pour le stop.
Là encore une heure et demie.
Après un pont au dessus duquel nous avions imaginé…ah non, il n’y pas de berges, un couple arrivant à sens inverse nous propose de revenir dans dix minutes pour nous prendre si nous ne sommes pas plus chanceux.
Nous ne le sommes pas.

Ces deux irlandais roublards en vacances, faisaient des allers-retours sur ce bout de route :
-« parce-que vraiment c’est trop beau. »
Lui, lâchait le volant des deux mains pour prendre sa photo par la fenêtre.
Nous trouvons une aire de repos et nous commençons à nous parer pour la nuit gardant un oeil sur les montagnes enneigées qui n’ont pas pourtant l’air d’être très hautes.

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La nuit sera froide.

Nous installons la couverture de survie sous la tente pour l’isoler de l’humidité du sol, je fabrique un matelas avec nos manteaux et nos serviettes pour Greg et pour ma part je testerais « je vide mon sac et le garde en matelas ». Chose qui fera beaucoup rire ceux que nous rencontrerons mais qui s’avèrera très efficace pour moi. L’essentiel est dans la débrouille.

Deux minutes à attendre au matin. Encore une discussion inutile, à savoir est-ce une bonne place pour faire du stop.
Une voiture se gare en catastrophe, alors qu’il pouvait le faire en sécurité sur l’aire de repos.
-« Ces sommets ne devraient pas être comme cela. C’est un temps de mois d’avril que vous avez là. Un temps hiver. Il fait 7°C à cette heure là, cette nuit ça a du descendre à 3. »
Les mauvaises nuits ont toujours une explication rationnelle.

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L’homme ne décroche pas un sourire, c’est un pince sans rire, un homme qui juge beaucoup. On lui parle de notre voyage :
-« Un an et demi en Australie et trois mois en Nouvelle Zélande ? Vous avez tout faux. »
On aimerait que ce soit une plaisanterie mais c’est difficile à penser.
On lui offre un café dans un bar-gallery au milieu de nulle part.

Te Anau.
Nous y sommes.
Heureux de quitter la voiture de cet homme, le climat était trop lourd.

Nous nous renseignons sur les croisières. Nous optons pour Go Orange (il mérite ma petite publicité). La femme de la compagnie nous renseigne sur ses prestations mais aussi sur les randonnées aux alentours, sur la route qui nous mène à Milford, le sourire au beau fixe quand elle apprend que nous sommes autostoppeurs, elle nous conseille étonnement :
– « Ne montez jamais avec des asiatiques. »

Première voiture, une seconde.
C’est un Tchèque qui nous cueille, au nom surprenant de Kamil. Il vient de la capitale, de Prague. Il nous raconte quand il partait avec ses amis dans les paysages nordistes quand il était jeune:
– » Le coup de la vie était affolant pour nous, un peu près vingt fois celui de notre pays ! Alors on est parti avec un mois de nourriture pour quatre dans la voiture… »
Le temps passe.
Kamil est photographe amateur, un peu astronaute parfois mais un coeur que l’on sent entier. Il aime les gens, les rencontres, les histoires.

La route de 120km qui mène à Milford Sound est connue pour être une des plus belle du pays. Mais ne soyez pas déçu si ,à vous, elle ne vous dit rien de plus qu’une route sympathique. Vous ferez partie des critiques, des gens qui se plaignent pourquoi pas … des gens qui nous ressemblent. La vallée d’Eglinton a son petit charme grâce aux Red Tussock, longues herbes jaunes orangées, qui ondulent au moindre souffle du vent me rappellant Bastien et Falkor d’une histoire sans fin. Une trentaine de kilomètres plus loin, les gens défilent pour se rendre à « Mirror Lakes », un lac, plutôt une sorte de marécage qui en l’absence de vent reflète les montagnes. Evidemment il y avait du vent et j’ai du mal à imaginer qu’avec la petitesse de la surface on y voit quelque chose de renversant. Nous nous arrêtons avant The Divide, départ de notre prochaine randonnée.

Nous sommes aux portes de Milford Sound, à quelques dizaines de kilomètres seulement mais j’ai peur que nous ne puissions pas trouver de voiture pour arriver
demain matin
à 8h30
pour réserver notre croisière.

Je veux celle qui part à neuf heures pour espérer voir les nuages qui font des paysages néozélandais ce qu’ils sont.
A la limite de l’enchantement,
à la limite de l’ésotérisme.
Des paysages qui vous touchent sans explication.
Je veux donner cette chance aux Milford Sound.

Philéas frappe encore

ImageLe ciel est dégagé au matin.
Nous pouvons entamer notre ascension d’Alex Knob qui sourit à 1303 mètres.

Heureusement -heureusement- nous partageons cette randonnée avec Clément. Le « Laboureur », son van, nous attend en bas, se chargeant de surveiller nos kilos superflus… comprenez nos bagages.

Ca monte, encore et encore, le glacier se dévoile parfois promettant un beau spectacle pour nous féliciter de cette marche jusqu’au ciel.
Mais c’est une course contre la montre. Des nuages parenthèsent le glacier cherchant à l’étrangler avant que nous puissions profiter de notre position dominante.
Enfin nous arrivons.
La vue a juste le temps de nous saisir. Comme en cuisine, Fort mais Vite.

Une minute.
Deux minutes.
Trois minutes.

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Et le glacier disparait complètement.
Laissant les nouveau arrivants, et les prochains que nous rencontrerons à la descente, fatigués, et dépités.

Car la Nouvelle-Zélande ne fait rien à moitié et bientôt nous ne voyons plus à deux mètres et pour longtemps… mais la bière est bonne.
Toujours.
Quand on a que celle là.

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Nous quittons Clément qui savourera une douche chaude dans un backpacker (auberge de jeunesse) et attendons de nouveau sur le bord de la route sans véritable succès jusqu’à temps que deux écossais en van s’arrêtent.
– Nous n’avons pas de sièges à l’arrière mais vous pouvez vous installez sur le lit, si cela vous va.
Quand ils nous ouvrent la porte un autostoppeur argentin occupe déjà les lieux.

Il y a donc deux nouveau clandestins dans ce van confortable de location.

Elle. C’est un vrai bonheur. Petite blonde pétillante. Emerveillé de la moindre parcelle de vie, de paysage, d’aventures par procuration. Elle pose beaucoup de questions dans une envie qui ne cherche pas à se cacher. Elle voudrait tout, partout , tout de suite.
Mais restera dans son van confortable et retournera en Ecosse dans une petite semaine.

Nous les laissons à Fox. La nuit tombe il faut se trouver un mètre carré…pour la tente.
Nous marchons un peu, d’une légèreté qui sent la liberté à plein nez. Nous sommes au milieu de rien, rien ne nous attend, nous ne savons pas où nous dormirons, mais peu importe, nous avons notre vie sur notre dos et la quiétude de la Nouvelle-Zélande dans nos coeurs.

Un pré descend doucement près de la rivière bleu glacière, nous sommes au dessous d’un pont où personne ne peut nous voir, le soleil fait étinceler les fleurs oranges qui éclatent tout autour de nous.

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Et puis vient le soir…
Le ciel se dégage et nous laisse apprécier la vue que nous avons depuis notre tente : le glacier.
Le moment est presque irréel.

Nous prenons conscience que cet instant ne peut se faire que grâce au nomadisme, qu’aux hasards qu’il engendrent. Nous sommes heureux d’être en Nouvelle-Zélande en stop, en tente, en aléas.

A notre réveil, le glacier veille toujours sur nous, comme il l’a fait toute la nuit.

Des couleurs froides de la vie nocturne il s’étire désormais aux couleurs chaudes de l’aube.

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Balbutiements

Quatre jours que nous sommes arrivés.
Un jour de beau temps.
Deux jours de pluie.
Un jour de gris.

Déjà cinq voitures de prises. Enfin… qui nous ont pris. La première s’est arrêtée après cinq minutes. Bonne augure pour nos pouces débutants. C’était un jeune. La voiture brinquebalante et chargée comme une « pie », sorte de tourte anglaise que vous pouvez remplir avec ce que vous voulez mais n’oubliez pas la sauce en quantité.

Il était amusant avec ses bras recouverts de tatouages et sa dent en or. Il avait à peine vingt ans démoulé mais on lui en donnait peut-être dix de plus. Malgré cet air d’indépendance et de certitude, il avait toujours besoin de l’aide parentale pour mettre de l’essence dans sa voiture. Quand nous l’avons quitté, Gregory lui a donné un billet de dix pour l’essence.
On n’était pas vraiment d’accord sur le geste, mais va pour celui-ci. Je ne veux pas que le stop devienne payant. Non pas que nous voulons rouler gratuitement sur le dos de l’humanité kiwi laborieuse, non pas que nous n’avons pas le sous.
Seulement parce que je défends la gratuité dans ce bas monde. Il doit y avoir des gestes non monnayés. Je veux que les gens s’arrêtent pour prendre un auto-stoppeur, pour partager un moment avec un voyageur, pour faire une bonne action pourquoi pas, parce qu’ils vont dans la même direction, pas pour se dire « tiens, ca va m’alléger ma facture de pétrole ». Et puis le stop, ce n’est pas du covoiturage… S’il existe deux mots c’est bien qu’il distingue deux réalités. Le stop, c’est la spontanéité, le hasard, la gratuité. Le covoiturage est organisé, prévu et partagé. Après, remercier c’est autre chose : offrir un café, cuisiner un repas, partager une bière… Ca, bien sûr, c’est un geste d’humanité. Il faut juste se rappeler que la reconnaissance, la gratitude, n’a pas besoin de billet. L’argent spolie l’altruisme.

Mais bon, le jeune a accepté avec plaisir.

Greg a des envies de luxe, de repos, de détente. Il me tanne pour que nous nous prélassions à Hanmers Springs, des sources d’eau chaudes thermales naturelles. Je ne partage pas son désir, pour moi il est temps de partir à la conquête de ce nouveau territoire. Nous avons à peine atterris ! J’attendrais pourtant encore un peu avant notre cavalcade, suivant Greg dans de multiples bains ramollissants qui vous délassent jusqu’à 40°C ou jets qui vous font grimacer. Je ne peux bien évidemment pas dire que ce ne fut pas agréable. Mais l’univers trop « piscine » et touristique m’empêchait de me sentir dans des bains naturels.

De retour dans notre camping bon marché, nous retrouvons deux allemands qui nous proposent de nous emmener à Kaikoura, petite ville réputée pour sa langouste. Ils n’ont pas de sièges à l’arrière de leur van. Nous montons donc illégalement, comme des clandestins, sans ceintures deux heures durant dans des routes de montagnes sinueuses et migraineuses (dernière étape avant problème)…

Enfin…nous arrivons dans la petite ville côtière. Le ciel se couvre. Et le restera. La pluie commence à tomber. Et ne discontinuera pas.

Le patron d’un restaurant asiatique, excité de nous voir voyager, nous fait un panneau pour nous aider dans notre volonté de quitter cette ville triste sous son épais brouillard.

Il y a des hauts, et des bas bien évidemment. Le hitch-hiking (-le stop-) sous la pluie, chargés et mouillés n’est pas la meilleure expérience de notre vie mais ça a au moins le mérite de vous rendre assez inoffensifs pour que les gens s’arrêtent.
Cette fois là, après une heure de pouce mouillé et inefficace, ce fut une petite mamie qui ne prenait jamais d’auto-stoppeur… -« Mais on ne peut pas vous laisser sous la pluie. » Non, on ne peut pas.
Notre journée à 100% d’humidité nous a un peu démoralisé, il est vrai. C’est un début un peu rude. Nous avons choisi le stop dans un pays où le soleil n’est pas un client régulier. Nous sommes au mois de février… fin de l’été. La meilleure période pour venir sur cette terre. Les mois les plus cléments ont tendance à être pris d’assauts… Et apparemment « pris d’assauts » n’est pas à prendre à la légère. Et cette année, l’été ne semble pas vouloir être indien.

On espère quand même ne pas avoir ce temps trop souvent. Nous mettons une journée entière à sécher… Nos vêtements sont humides, la tente est humide, l’air est humide… Je m’attends à voir pousser des cèpes, bolets et autres champignoneries sur le sol même de notre tente polyester.

Nos pâtes à l’eau le sont vraiment, et sans sel. L’absence de café au matin nous coûte.

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Nous profitons de cette journée pour déplier la carte et faire des plans sur la comète, tracer nos futurs itinéraires, indiquer si possible nos stops pour la nuit.

Ces découvertes à venir, ne nous aident pas à sécher plus vite et n’améliorent pas la météo mais nous redonnent le sourire. La journée de demain a des destinations, des buts. Le vent a trouvé notre voile et saura la gonfler après cette nuit… froide encore.

La pluie a cessé, le vent s’amuse encore sur les montagnes touffues et verdoyantes environnantes. Est-ce que quelqu’un nous prendra dans ce « milieu de rien » ?

 Les voitures défilent. Enfin, une autre nous dépasse, sans ralentir, mais un bon cent mètres plus loin s’arrête. -« Je ne prends jamais deux hommes, j’ai mis du temps à voir que vous étiez un couple ». Ok, note pour notre amélioration de notre technique : il faut que je me place devant, les cheveux aux vents.

Une chance pour nous, cette femme est représentante commerciale pour des supermarchés. Elle s’arrête dans toutes les villes et termine exactement à notre point de chute. Elle propose même de nous reprendre le lendemain pour que l’on continue notre route. Cela nous semble fou.

Nelson est une ville bourgeois-bohème. Les gens y sont détendus. La circulation routière se fait à l’envie. Et les cafés fleurissent. Nous nous languissons un peu, juste un peu, avant de longer sa côte séduisante pour tenter de rejoindre Richmond, notre village de nuit.

Le soleil continue sa course et nous n’avons pas beaucoup de chance avec le stop… Evidement le soir c’est plus compliqué, les gens se méfient.

20h30. Une voiture s’arrête enfin.
Ian Teresa
Bientôt retraités officiels. Mais actifs comme au premier jour. Il y a quelque chose dans les veines de ces deux là qui boulonnent de vie.
-« Vous dormez où ce soir ? »
-« On a vu que l’on était autorisé à dormir gratuitement sur le parking du Pac’n Save. »
-« Vous voulez dormir, en tente, sur le parking du supermarché ? « 

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-« C’est cela. »
**Ils rient.** Comme ils le feront encore plus d’un million de fois. D’un rire franc, expansif et communicatif.

-« Venez dormir chez nous plutôt. »

Nous marchons sur des oeufs dans la maison de nos hôtes. Nous n’osons pas. Ils rient encore à ma proposition de camper dans leur jardin. Ils nous font un lit avec des draps blancs, sur la table de nuit une bougie parfumée est allumée et un bouquet délicat de roses et de menthe nous souhaite la bienvenue dans cette maison douce de sérénité.

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Nous savourons un café noir, bien noir…qui nous empêchera de faire honneur à cette nuit inattendue. Nous dormons les yeux ouverts.

Nous sommes touchés de cette simplicité de bienvenue, cette simplicité d’accueil de son prochain, cette solidarité de voyageurs. Ils connaissent la France, l’aiment. Peut-être pas autant que l’Italie. Mais ils ont savouré le temps passé dans la vallée de la Loire, les chemins de Bourgogne, l’Abbaye de Cluny, la Basilique de Fourvière,…

Nous repartons au matin. Leur laissant un peu de notre poids pour que nous puissions savourer le dos plus léger, les chemins de randonnées et notre vie de nomade. Comme nous enchainons avec deux îles, nous avons du matériel de snorkeling, des affaires d’été qui … ne devraient pas nous servir sous ces latitudes frigorifiques.

Nous quittons nos bienfaiteurs, encore un peu abasourdis de cette rencontre exceptionnelle. Nous reverrons nos kiwis-irlandais bientôt.
Avec le plaisir non pas de la surprise cette fois-ci, mais du connu, de l’attente. La joie de continuer une belle rencontre.