Motivés comme un lundi nous terminons les trois maigres heures de randonnées qui nous séparent de l’arrivée. Mais il faut le savoir, cette marche ne fait pas de boucle, c’est le cas de bon nombre de randonnées néo-zélandaises. Celle-ci arrive sur un parking, oui, un bout de terre où des voitures sont stationnées, ce qui lui donne le nom pompeux de parking.
Mais où sommes-nous ? La route qui en part n’est pas goudronnée. Nous attendons un peu, histoire de voir si des marcheurs partiraient de ce lieu singulier.
Personne.
Ah si. Un couple, la démarche alerte arrive dans le sens opposé. Je me risque :
-« La route principale est loin ? »
Ils se regardent. La réponse m’effraie tout de suite.
-« Qu’est-ce que vous entendez par route principale ? »
-« Mhh… je ne sais pas. Une route goudronnée ? »
Nouveau regard croisé qui crucifie mes espoirs.
– « Pour du goudron… je dirais environ 15kms. Le chemin qui mène au village le plus proche fait 12kms. »
Et en effet, le chemin qui mène à cette randonnée, ne mène à rien d’autre. Non, pardon, il conduit également à une ferme et ses 100 000 têtes d’ovins. Mais d’après ce qu’on sait, les moutons ne conduisent pas, et nous ne rencontrons pas une âme sur ces 12 merveilleux kilomètres de randonnées gratuites supplémentaires.
Le chemin est beau oui. C’est peut-être ce qui a sauvé la tête de Greg…car le Picard savait qu’il n’y avait rien au bout de cette rando. Rien, néant, vide, zéro, et le picard n’a rien dit. S’il l’avait dit, cela n’aurait rien changé, nous aurions fait cette marche, mais, MAIS, nous serions partit plus tôt ce matin, je n’aurais pas savouré une douche dans les bois, nous n’aurions pas repris un café… et nous aurions retrouvé nos rencontres de la veille qui se seraient fait une joie de partager ces quelques minutes en voiture avec nous. Et cela vous aurait épargné quelques lignes de lecture.
Nous avons marché tels des zombies jusqu’aux maisons éparses de Kinloch. Il a pour attrait d’être logé près du lac de Wakatipu, petit bijou aux couleurs corails.
Un de mes plus beaux paysages du Pays au Long Nuage Blanc mais malheureusement impossible à saisir sur papier film. Couleurs trop subtiles, dégradés trop volatiles, dénivelés trop doux. Le moment était juste insaisissable, il a fallu s’en contenter en essayant de prier son cerveau de retenir ce que nous ne pourrons revoir en d’autres lieux.
J’ai regretté de ne pas avoir notre Léon pour revenir ici, facilement, avec une bonne bouteille pour la savourer au pied de cet arbre maison qui se penchait sur le lac.
C’était un lieu oenophile, il n’y a pas à en douter.
Pendant que je rêvais à ce qui n’arriverait pas sur ces berges, quelques chinois ne se lassaient pas de se i-prendre en i-photo avec leur i-phone, i-pad, i-chose en tout cas car les chinois n’aiment pas trop quand c’est trop compliqué pour publier sur les réseaux-sociaux par la suite. La centaine de captures visuelles faites, ils sont partis.
Nous faisons un signe de politesse.
Ils continuent leur chemin, puis s’arrêtent, et font machine arrière.
-« Vous allez où ? »
Nous voilà donc dans notre première voiture asiatique. Au premier virage, nous repensons au conseil lancé par la vendeuse de notre compagnie de croisière sur les Milford Sound.
-« Ne montez jamais avec les asiatiques, ils ne savent pas conduire. »
Il nous avait fait rire ce conseil, un peu facile et un peu expéditif aussi. Mais lorsque nous faisons notre premier tête à queue sur cette route de sable, nous reprenons notre sérieux pendant que nos voisins rient à pleine voix.
Nous sommes surpris, pas vraiment d’ailleurs, que ces deux couples voyagent exactement de la même manière qu’un groupe. Ils ont imprimé le programme des « choses célèbres à faire en deux semaines en Nouvelle-Zélande ». Le programme est suivi à la ligne. On est chinois ou on ne l’est pas.
Les décalages culturels semblant prendre trop d’espace, la discussion ne suit pas son cours. Les couples retournent à leur langue maternelle et nous avons l’impression de ne plus exister dans leur espace.
Nous arrivons à Glenorchy, heureux de quitter cette voiture pourtant salvatrice. Le village est calme, vide et apaisant. Nous cherchons un lieu pour sombrer. Nous sentons que malgré le flegmatisme ambiant nous ne serions pas les bienvenus pour poser notre tente ailleurs que dans les campings prévus à cet effet. Nous attendons donc la nuit, nous nous éloignons un peu du coeur du village pour nous installer dans les plaines marécageuses, séduisantes malgré l’image que ces mots peuvent évoquer. Les canards nous réveilleront souvent, leurs ailes battant sur les lacs endormis évoquant, étonnement, des chevaux au galop.
Malgré nos couches qui n’en finissent plus de se superposer, la nuit a été, encore une fois, très froide. Au réveil, notre respiration s’habille de vapeurs mais je remercie pourtant cette absence de nuage qui ne nous a pas protégé, je remercie cet air glacé et vif qui me saisit, je remercie les rayons du soleil, timides, qui éveillent ce paysage languissant. Bien que l’eau soit froide et l’air l’étant encore plus, les wetlands irréels fumaient pour notre plaisir. Le café a le goût prononcé du bonheur.
Nous voulions essayer le chemin de Routeburn aujourd’hui, le trop fameux Routeburn. Nous ne sommes pas motivés du tout. Mais nous ne voulons rien regretter par feignantise. Alors nous tendons notre pouce vers sa direction … Deux jeunes hommes à l’allure de … « jeunes », s’arrêtent. Ils vont à une compétition de frisbee.
Ah Dieu, tu mets sur notre route tant de tentation !
Une compétition de frisbee. J’ignorais que cela existait et j’ignore toujours ce que l’on peut y faire. Du frisbee, oui. Mais en compétition ! Le premier vient des Etats-Unis, le second d’Amérique du Sud … C’est international le frisbee ?
Nous tenons bon et ils nous déposent entre plaines et plaines. Encore un No Man’s Land néo-zélandais. Un van « Hello Kitty » passe. On ne lève pas le pouce, on a encore notre dignité. Puis arrive un autre, neutre, il est blanc. Sylvain, français toujours, nous semble un peu perdu, un peu mal préparé, un peu débarqué. C’est un de ces voyageurs qui font l’Asie et se prennent une claque dans les pays au niveau de vie occidental. L’inflation vécue comme un grand coup de poing ou un grand saut d’eau froide. Et pour le froid, la Nouvelle-Zélande elle sait faire !
Nous nous trainons sur le Routeburn track. Nous sommes partis pour une journée mais nous sommes chargés de tout ce que nous possédons, encore.
Nous enchainons 6.5kms sur un chemin sans charme, un chemin aux allures de déjà vu.
Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello…
Il y a du monde… comme prévu sur cette Great Walk de randonnée.
Cela commence à nous lasser… sérieusement.
Nous nous arrêtons à la première cabane : pause repas, c’est encore la danse des sardines. Nous nous étonnons à la vue d’un panneau nous indiquant que les campeurs n’ont pas le droit de se servir des équipements du chalet. Chose complètement contraire à tous les autres chalets. Le snobisme des Great Walks nous insupporte. On se regarde.
-« Un café ? »
Ni « cabaneurs », ni même campeurs, nous mettons nos pieds sous la table et savourons le café dont l’eau a été chauffée au gaz. Merci ma Queen.
Puis on se remet en route. Avec dix kilos en plus tant l’absence de motivation nous pèse. Nous ne terminons pas nos trois derniers kilomètres et nous ré-enchainons nos 6,5kms en sens inverse avec la légèreté de deux prisonniers enfin libres.
Nous retrouvons Kamel, ce praguois photographe qui nous a cueillis sur la route des Milford Sound. Un plaisir de hasard. La côte Ouest est décidément bien petite.
La première voiture qui s’arrête pour nous est habitée par un chasseur au discours surprenant et intéressant. Il accuse le DOC (Département de conservation) de cruauté envers la nature puisque ces derniers « want to kill all imported species », et pour cela il les empoisonnent. Ce qui les rend, impropre à la vie certes, mais aussi à la consommation. Des morts inutiles en quelque sorte.
La deuxième voiture pétille d’une allemande d’une quarantaine d’années qui s’émerveille à chaque instant de ce que la Nouvelle-Zélande a à offrir. Elle voyage seule. Elle voyage heureuse, le sourire aux lèvres.
Nous sommes de retour à Glenorchy. Nous regardons nos provisions. Une soupe instantanée et quelques flocons de ce qui prétend être de la purée de pomme de terre.
Puisque nous portons notre nourriture. Puisque ce pays est plus cher que l’Australie. Oui. Nous mangeons mal en Nouvelle-Zélande.