Beautés hivernales

Motivés comme un lundi nous terminons les trois maigres heures de randonnées qui nous séparent de l’arrivée. Mais il faut le savoir, cette marche ne fait pas de boucle, c’est le cas de bon nombre de randonnées néo-zélandaises. Celle-ci arrive sur un parking, oui, un bout de terre où des voitures sont stationnées, ce qui lui donne le nom pompeux de parking.

Mais où sommes-nous ? La route qui en part n’est pas goudronnée. Nous attendons un peu, histoire de voir si des marcheurs partiraient de ce lieu singulier.

Personne.

Ah si. Un couple, la démarche alerte arrive dans le sens opposé. Je me risque :

-« La route principale est loin ? »

Ils se regardent. La réponse m’effraie tout de suite.

-« Qu’est-ce que vous entendez par route principale ? »

-« Mhh… je ne sais pas. Une route goudronnée ? »

Nouveau regard croisé qui crucifie mes espoirs.

– « Pour du goudron… je dirais environ 15kms. Le chemin qui mène au village le plus proche fait 12kms. »

Et en effet, le chemin qui mène à cette randonnée, ne mène à rien d’autre. Non, pardon, il conduit également à une ferme et ses 100 000 têtes d’ovins. Mais d’après ce qu’on sait, les moutons ne conduisent pas, et nous ne rencontrons pas une âme sur ces 12 merveilleux kilomètres de randonnées gratuites supplémentaires.

Le chemin est beau oui. C’est peut-être ce qui a sauvé la tête de Greg…car le Picard savait qu’il n’y avait rien au bout de cette rando. Rien, néant, vide, zéro, et le picard n’a rien dit. S’il l’avait dit, cela n’aurait rien changé, nous aurions fait cette marche, mais, MAIS, nous serions partit plus tôt ce matin, je n’aurais pas savouré une douche dans les bois, nous n’aurions pas repris un café… et nous aurions retrouvé nos rencontres de la veille qui se seraient fait une joie de partager ces quelques minutes en voiture avec nous. Et cela vous aurait épargné quelques lignes de lecture.

Image

Nous avons marché tels des zombies jusqu’aux maisons éparses de Kinloch. Il a pour attrait d’être logé près du lac de Wakatipu, petit bijou aux couleurs corails.

Un de mes plus beaux paysages du Pays au Long Nuage Blanc mais malheureusement impossible à saisir sur papier film. Couleurs trop subtiles, dégradés trop volatiles, dénivelés trop doux. Le moment était juste insaisissable, il a fallu s’en contenter en essayant de prier son cerveau de retenir ce que nous ne pourrons revoir en d’autres lieux.

Image

J’ai regretté de ne pas avoir notre Léon pour revenir ici, facilement, avec une bonne bouteille pour la savourer au pied de cet arbre maison qui se penchait sur le lac.

C’était un lieu oenophile, il n’y a pas à en douter.

Pendant que je rêvais à ce qui n’arriverait pas sur ces berges, quelques chinois ne se lassaient pas de se i-prendre en i-photo avec leur i-phone, i-pad, i-chose en tout cas car les chinois n’aiment pas trop quand c’est trop compliqué pour publier sur les réseaux-sociaux par la suite. La centaine de captures visuelles faites, ils sont partis.

Nous faisons un signe de politesse.

Ils continuent leur chemin, puis s’arrêtent, et font machine arrière.
-« Vous allez où ? »
Nous voilà donc dans notre première voiture asiatique. Au premier virage, nous repensons au conseil lancé par la vendeuse de notre compagnie de croisière sur les Milford Sound.
-« Ne montez jamais avec les asiatiques, ils ne savent pas conduire. »
Il nous avait fait rire ce conseil, un peu facile et un peu expéditif aussi. Mais lorsque nous faisons notre premier tête à queue sur cette route de sable, nous reprenons notre sérieux pendant que nos voisins rient à pleine voix.

Nous sommes surpris, pas vraiment d’ailleurs, que ces deux couples voyagent exactement de la même manière qu’un groupe. Ils ont imprimé le programme des « choses célèbres à faire en deux semaines en Nouvelle-Zélande ». Le programme est suivi à la ligne. On est chinois ou on ne l’est pas.

Les décalages culturels semblant prendre trop d’espace, la discussion ne suit pas son cours. Les couples retournent à leur langue maternelle et nous avons l’impression de ne plus exister dans leur espace.

Nous arrivons à Glenorchy, heureux de quitter cette voiture pourtant salvatrice. Le village est calme, vide et apaisant. Nous cherchons un lieu pour sombrer. Nous sentons que malgré le flegmatisme ambiant nous ne serions pas les bienvenus pour poser notre tente ailleurs que dans les campings prévus à cet effet. Nous attendons donc la nuit, nous nous éloignons un peu du coeur du village pour nous installer dans les plaines marécageuses, séduisantes malgré l’image que ces mots peuvent évoquer. Les canards nous réveilleront souvent, leurs ailes battant sur les lacs endormis évoquant, étonnement, des chevaux au galop.

Malgré nos couches qui n’en finissent plus de se superposer, la nuit a été, encore une fois, très froide. Au réveil, notre respiration s’habille de vapeurs mais je remercie pourtant cette absence de nuage qui ne nous a pas protégé, je remercie cet air glacé et vif qui me saisit, je remercie les rayons du soleil, timides, qui éveillent ce paysage languissant. Bien que l’eau soit froide et l’air l’étant encore plus, les wetlands irréels fumaient pour notre plaisir. Le café a le goût prononcé du bonheur.

Image

Image

Nous voulions essayer le chemin de Routeburn aujourd’hui, le trop fameux Routeburn. Nous ne sommes pas motivés du tout. Mais nous ne voulons rien regretter par feignantise. Alors nous tendons notre pouce vers sa direction … Deux jeunes hommes à l’allure de … « jeunes », s’arrêtent. Ils vont à une compétition de frisbee.

Ah Dieu, tu mets sur notre route tant de tentation !

Une compétition de frisbee. J’ignorais que cela existait et j’ignore toujours ce que l’on peut y faire. Du frisbee, oui. Mais en compétition ! Le premier vient des Etats-Unis, le second d’Amérique du Sud … C’est international le frisbee ?

Nous tenons bon et ils nous déposent entre plaines et plaines. Encore un No Man’s Land néo-zélandais. Un van « Hello Kitty » passe. On ne lève pas le pouce, on a encore notre dignité. Puis arrive un autre, neutre, il est blanc. Sylvain, français toujours, nous semble un peu perdu, un peu mal préparé, un peu débarqué. C’est un de ces voyageurs qui font l’Asie et se prennent une claque dans les pays au niveau de vie occidental. L’inflation vécue comme un grand coup de poing ou un grand saut d’eau froide. Et pour le froid, la Nouvelle-Zélande elle sait faire !

Nous nous trainons sur le Routeburn track. Nous sommes partis pour une journée mais nous sommes chargés de tout ce que nous possédons, encore.

Nous enchainons 6.5kms sur un chemin sans charme, un chemin aux allures de déjà vu.

Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello.Hello. Good Morning. Hello…

Il y a du monde… comme prévu sur cette Great Walk de randonnée.

Cela commence à nous lasser… sérieusement.

Nous nous arrêtons à la première cabane : pause repas, c’est encore la danse des sardines. Nous nous étonnons à la vue d’un panneau nous indiquant que les campeurs n’ont pas le droit de se servir des équipements du chalet. Chose complètement contraire à tous les autres chalets. Le snobisme des Great Walks nous insupporte. On se regarde.

-« Un café ? »

Ni « cabaneurs », ni même campeurs, nous mettons nos pieds sous la table et savourons le café dont l’eau a été chauffée au gaz. Merci ma Queen.

Puis on se remet en route. Avec dix kilos en plus tant l’absence de motivation nous pèse. Nous ne terminons pas nos trois derniers kilomètres et nous ré-enchainons nos 6,5kms en sens inverse avec la légèreté de deux prisonniers enfin libres.

Nous retrouvons Kamel, ce praguois photographe qui nous a cueillis sur la route des Milford Sound. Un plaisir de hasard. La côte Ouest est décidément bien petite.

La première voiture qui s’arrête pour nous est habitée par un chasseur au discours surprenant et intéressant. Il accuse le DOC (Département de conservation) de cruauté envers la nature puisque ces derniers « want to kill all imported species », et pour cela il les empoisonnent. Ce qui les rend, impropre à la vie certes, mais aussi à la consommation. Des morts inutiles en quelque sorte.

La deuxième voiture pétille d’une allemande d’une quarantaine d’années qui s’émerveille à chaque instant de ce que la Nouvelle-Zélande a à offrir. Elle voyage seule. Elle voyage heureuse, le sourire aux lèvres.

Nous sommes de retour à Glenorchy. Nous regardons nos provisions. Une soupe instantanée et quelques flocons de ce qui prétend être de la purée de pomme de terre.

Puisque nous portons notre nourriture. Puisque ce pays est plus cher que l’Australie. Oui. Nous mangeons mal en Nouvelle-Zélande.

La mutation des castors-kiwis

Nous avons trainé dans les boutiques de jade comme des demoiselles un samedi dans les boutiques de fringues. D’un pas lent et d’un regard à la fois gourmand et frivole.
Nous sommes curieux.

Puis nous nous échouons comme des centaines de voyageurs dans les librairies publiques.
La librairie d’Hokitika est prise d’assaut.
Des geeks disséminés ici et là, suçant l’électricité convoitée et rare des nomades. La bibliothèque n’a plus une prise de libre, ordinateurs évidemment mais aussi téléphone, appareil photos, rasoirs et autres accessoires… C’est un peu trop.
La bibliothèque n’en est plus une. Et n’est sûrement pas une centrale électrique.

Nous veillons à user de cet avantage de branchement avec parcimonie. D’autres librairies interdiront carrément l’accès au prises, ce qui est un problème, d’autres préfèreront parquer les voyageurs dans une pièce à part, ou encore faire payer symboliquement l’accès à l’électricité (0.50centimes …). J’aime cette dernière option, car l’électricité n’est pas vitale mais un luxe.

Dans ce troupeau connecté nous retrouvons Clément, notre sauveur en cheval blanc.
Nous sommes d’accord pour partager les fraicheurs des glaciers de la côte Ouest : Franz Joseph et Fox.

Image

Pour s’y rendre nous croisons le petit village de Ross. Deux rues qui se croisent.
On nous avait fait l’éloge de son Fish and chips. Mais ce n’est pas cela qui nous attire… Devant le pub l’-historic Empire Hotel-, des mâles bien mâles, carrés, en marcel, la bière au ventre et à la main font face à un coin d’herbe… (ne les cherchez pas sur la photo, ce n’est pas à ce moment là que je l’ai prise 😉 ) et cette pelouse malingre témoigne d’un massacre.

Le coin est recouvert de troncs, de buches, de copeaux, de rondelles, de totems à peine ébauchés… Qu’est ce qui a bien pu se passer ici ?
Une exécution sommaire ? Des castors? Des canadiens en exils ?
Une échappée de castors canadiens… nous ne voyons pas d’autre explication.

Image

Deux jeunes sexagénaires en vélo nous lèvent le voile sur cette étrange tradition. Ce sont les restes d’une Wood Choping Competition. (compétition de coupe de bois ).

En quoi cela consiste-t-il ?
A couper, trancher, scier…
J’aime particulièrement l’épreuve qui consiste à tailler des encoches dans l’arbre, mettre une planche dans celle-ci pour pouvoir monter en colimaçon autour de l’arbre, pour en couper la cime.
On s’amuse à imaginer des bucherons baraques comme des montagnes en chemise à carreaux rouges et noires. Comment cela pourrait-il en entre autrement ?
Je trouve cela croustillant d’insolite, délicieux de tradition, succulent d’authenticité.
Je me promets d’en voir une avant de partir.
Une
compétition
de
Wood
Chopping.

Sounds soo great !

J’ai appris depuis, que cela existait en France également… à la différence, non des moindres, que mes gorilles néo-zélandais ne travaillent pas à la scie électrique, ce qui rend le spectacle mille fois plus savoureux.

Voici un petit aperçu de leur talents -Merci Clément-*…

Image

Image

 

La bourgade de Ross a quelque chose hors du temps.

Le vieux bar du coin est recouvert de plaques d’immatriculation et des roues de charrettes ornementent le toit. Des harleys sont évidemment garées ici, de passage bien sur mais le tableau ne pouvait être complet sans elles. A l’entrée du village, une maison que nous croyons musée tant elle est kitchissime. Elle sent le Texas, le cowboy et les indiens, les pionniers, les ruées vers l’or, et le vieux papy sur son rocking-chair sur la terrasse. La musique folk qui se s’en échappe arrose toute la rue.

Image

J’entends le son des éperons des bottes de John Waynes quand nous marchons et il me semble que ma vue traduit la vie en noir et blanc.

Nous quittons cette petite bulle atypique sur ces mots:

compétition  –  de  –  wood  –  choping  

.

* Pour voir encore plus de muscle ? Il y a même une vidéo !

 

Or jaune, or vert

Ce trajet en Subaru laitière fut passionnant. Nous voulions nous faire prendre en stop par un de ces camions mythiques mais comme ils n’ont pas le droit et pas la place pour deux, nous considérons ce trajet comme un excellent échantillon. L’homme fait un détour d’une dizaine de kilomètres pour nous emmener dans notre camping au bord de rivière, seule survivante de la ruée vers l’Or de la région en 1860.

Image

Rien qu’entre 1865 et 1867, cent quatre vingt hôtel sortent de terre… A la hauteur des quinze tonnes d’or extraites.
Il est toujours possible de rechercher de l’or dans la rivière qui traverse le camp. Des petits bataillons de retraités en motorhome viennent y passer du temps. Ils ne viennent pas pour les petites randonnées qui entourent le lieu, il viennent :
-« Pour l’Or. »
Encore aujourd’hui, c’est dit comme une évidence et un secret.

Ces périodes de folies aurifères devaient être passionnantes de sociologie. L’appât du gain, l’espoir, la course à la dernière chance … Des dizaines de kilomètres inhabités, inhospitaliers, vierges, isolés… transformés, retournés labourés par la force humaine. Au commencement filtrage de cailloux et de la terre de surface pour trouver les pépites et les paillettes d’or alluviales (qui se trouvent dans les rivières).

La main qui creuse, la pluie qui enterre de nouveau et parfois des morceaux de soleil surgissent -enfin-de cette boue haie.

Oui, j’aurais aimé en être témoin, dans une bulle invisible -et chauffée-.

Image

Dans cet univers de furie endormie, nous rencontrons Joëlle et Philipe, des drô-mignons, de sympathiques gens de la Drôme. Retraités qui ne cherchent pas d’Or.
Pourquoi faire ? Ils l’ont trouvés depuis longtemps.
Simplicité, Sérénité sont leurs minerais précieux.

Ils sont ici pour cinq semaines.
Joëlle a un sourire qui ne décroche pas et qui grandit quand elle nous parle de son envie de mettre les pieds dans l’eau pour rechercher de cailloux dans la rivière d’Hokitika. Ils aiment la Nouvelle- Zélande, des espaces en suspens.
-« Mais complètement diffèrent de la Patagonie. Ici, c’est le détail qui séduit. Je suis en mode macro tout le temps ».
Joëlle est sautillante d’entrain.
Philippe est plus discret, n’en dit pas trop et puis on apprend en détour d’un chemin, qu’ils ont fait Compostelle, lui à pieds, à raison de 30km par jour, elle en vélo. Il a fait un tour en Italie aussi, 1 000km, toujours à pied, sans vraiment d’eau avec lui, il s’arrêtait dans les maisons au besoin.
Des chemins de vie qui n’ont pas l’air de se décider mais qui s’imposent. Une vie en « Pourquoi pas  » qui se réalisent.

Pour leurs cinq semaines de voyages annuelles, ils aiment louer une voiture.
– « Pas grande hein, pas besoin. Il faut juste que l’on puisse rabattre les sièges. »

Et les voilà dans leur hébergement sans confort affiché
-« Mais pourquoi faire, on a juste besoin d’un lieu ou dormir ? »
Une route un peu à l’écart, un bord de plage, la court d’une ferme en demandant au préalable. Ils voyagent comme ça. De pas grand chose…
-« Le pire c’était au Etats-Unis, un matin on petit déjeunait de sardines et Coca, il n’y avait que ça ! »
Mais avec un entrain qui ornemente n’importe quel instant.
– « Vous avez un pied à terre dans la Drôme. »
Ce n’est pas tombé dans le carnet d’adresse d’un manchot.

Il est temps de se séparer pour la nuit. Chacun chez soi. Voiture pour eux et tente pour nous.
Ces nuits froides, cette humidité qui ne disparait pas quand elle ne se transforme pas carrément en pluie nous lassent.
Nous sommes réveillés très tôt.

Image

En deux voitures et une demi-heure nous sommes à Hokitika.

Notre vie est faite de « et si ».
La première voiture est celle d’un de nos retraités aurifères du camp.
Et si le réseau passait dans le camp, et s’il ne devait pas passer un coup de fil important ? Nous ne l’aurions pas eu.
Notre deuxième voiture est celle d’un professeur, mais un remplaçant.
Et si le titulaire n’avait pas été malade, et s’il n’avait pas été appelé, et s’il avait changé de route aujourd’hui ?
Merci au hasard, la ville de Jade se réveille doucement sous le soleil quand nous arrivons le coeur plein d’une joie renouvelé grâce à la simplicité de cette avancée matinale.

C’est la première fois que nous côtoyons l’art-isanat Kiwi, survivance des traditions maoris. La création, le fait-main me manquaient en Australie. Les australiens ne sont pas très « création » et les aborigènes, avant les colons, ne sont pas attachés aux objets à la différence des maoris.

Hokitika se trouve dans la vallée de ces 2,7 millions d’hectares de montagnes et de fiords sauvegardés, classés au patrimoine mondial de l’Humanité de l’Unesco, que l’on nomme « Te Wahi Pounamu » (lieu du Jade).

Le soleil éclaire l’ile du Sud et nous avons un pied dans ses histoires.
J’ai l’impression que nous commençons enfin notre voyage.

Image

(MAGNIFIQUE sculpture contemporaine par Lewis Gardiner, artiste maori)

Malédiction ou souhait

Dans les entrailles de la terre, il y va s’en dire que la totalité des visiteurs transitant par le « dugout » m’appelaient invariablement « Man » en me tapant dans la main ou sur l’épaule. Mais j’aimais déceler qu’ils me considéraient toujours comme une gazelle sinon je pense que je n’aurais pas reçu autant d’offrandes…
opales,
vin,
chocolat.
**sourire en coin**
God bless them.

Nos journées de boulot pouvaient être longues ou très courtes, soumises aux festivités impromptues. L’Homme qui avait autorité suprême sur nos heures est un charismatique bosniaque dont les paluches de grizzly ont soixante-dix printemps. C’est un observateur qui se joue d’une façade d’arrogance et de désintérêt pour ta petite personne. Il te cherche, te met à l’épreuve, te teste.
Ancien prêtre.
Ancien boxeur.
Chaque parole a son sens et t’envoie sur le ring.
Bienvenue sous son chapiteau.
Faibles s’abstenir, charlatans passez votre chemin. Laurey voit au-delà de vous et vous dépèce à l’œil nu.
Quand vous gagnez son respect, principalement par la valeur qu’est le travail, vous êtes accepté dans son antre et découvrez son cœur immense. Tendre comme son choux jaunasse et trop salé (recette bosniaque). Anoush l’a adopté comme son père, en écho au sien qu’il a perdu trop tôt. Le visage de Laurey est ridé aujourd’hui. Il se cache derrière une apparente bougonnerie éternelle qu’il agrémente d’onomatopées : « pfeu pfeu pfeu pfeu ». Certains ne comprennent pas ses masques.
Souvent, il sourit comme un clin d’oeil, vite et furtivement. Il aime la force, la puissance, de toutes les beautés humaines. Il a la culture et la curiosité avec lui.
Je ne parle pas trop avec lui. C’est trop dangereux ces personnages-là. Ca apprend ce que vous ignorez, ça vous lit comme une page de la Bible… entre les lignes.
Mais ça vous aime comme vous êtes.

ImageImage

 Un jour que nous étions vêtus pour aller au turbin, Anoush nous conduisit dans une autre maison. C’était anniversaire là-bas.
Le jeune Mickaël, son pantalon-à-pinces blanc et son chandail bleu-ciel fêtaient leurs soixante-dix-sept ans. Ils auraient pu les vivre seul. Une journée de plus, une journée comme les autres.
Mais Laurey n’aime pas les gens tristes. Alors ce serbe souffla ses bougies en compagnie d’une bande éclectique de lurons inconnus : l’arménien joaillier-poète, l’aborigène homme-orchestre-Jean-Val-Jean, le picard comique-troubadour, le bosniaque prêtre-boxeur et moi-même….Sans oublier bon nombre de bières et un excellent Brandy.
L’homme se déracinait la mâchoire à force de sourire, de rire. Anoush me murmure : »Ça vaut bien tous les boulots du monde, non ? »… Oui, évidemment oui. Voir cet homme, hier inconnu, se lever pour vider son frigo de ce qu’il contenait pour cette fête imprévue.
-« Je ne sais pas comment on reçoit, je ne sais pas. »
Il savait. Prociutto, tomates, pain. Le buffet des rois. L’après-midi s’éternise. Sunny se met à jouer, à chanter. Sa discrétion met en sourdine sa musique jusqu’à temps qu’il ait assez bu.
Mickaël a combattu le dragon des âges. Il est fatigué maintenant.
Notre troupe de saltimbanques termine chez Laurey, heureuse d’une journée à visage humain.

En quatre semaines d’acharnement chez Anoush, nous avons fini de creuser, fini de pleurer sur ces gravats qui n’en finissent plus, fini de refaire une santé à notre foie, notre départ se profile bientôt. Trop tôt.

Image

Nous organisons un barbecue avec tous les personnages de notre histoire ici. Sunny veut pas que nous partions sans découvrir une vraie mine d’opale. Il nous prend sous son aile, nous guide sur cette échelle brinquebalante qui plonge à trente pieds (10 mètres) au travers d’un trou d’un mètre de diamètre. La descente se finit dans le noir. La faible lumière d’une lampe de poche nous offre à voir un monde de galeries comme autant d’espoirs d’être plus riche que riche.

Image

Image

Le plafond ne doit pas être bien plus haut que le diamètre du forage, un mètre là encore. C’est excitant de penser à toutes ces galeries cachées sous le sol de Coober Pedy. Il y a encore tant de mystères ici… Nous regardons œuvrer la tunnelling machine, qui comme son nom l’indique creuse des tunnels. Je scrute au côté de Scotty la paroi qui se fait dévorer en laissant se dévoiler à chaque passage, soit du potch, soit quelques timides couleurs, soit… de la roche. On creuse la roche latérale dont la machine n’a pas pu s’occuper. Rien. Pas de chance pour eux aujourd’hui.

Image

Image

Image

Nous sortons des jupons de Coober Pedy.

Nous passons l’après-midi à préparer le barbecue. A la française s’il-vous-plait, il y a des légumes… il est un peu multiculturel aussi à l’image de notre vie ici. Tsaziki grec, houmous égyptien, viande assaisonnée à l’arménienne, choux bosniaque…

J’avais oublié de vous parler des Grecs. De Nico, le mini boss de Jirho à la bijouterie d’Umoona,  trente-trois opales à son compteur d’années. Juste entr’aperçu je ne peux que vous dire qu’il est élégant et ambitieux. Il y a Peter aussi…un phénomène des sables. Il est fort possible que ce garçon patibulaire (mais presque) qui sent l’after-shave à dix kilomètres quand il vient nous voir, ait été enlevé par des extra-terrestres puis recrache ensuite sur la terre de Coober Pedy. Il croit à la vie des Aliens et aux fantômes. Il a le rire amusé et blagueur et aime mes chaussettes de randonnée. Il nous a pris sous sa carrosserie de 4×4 pour nous emmener à sa mine à ciel ouvert, nous a fait découvrir ces endroits où la légende dit qu’on y a trouvé des millions, nous a conduit sur les carrières des pierres tigres…

Image

Il me scrute et enfin, tente un :
– Es-tu breatharien ?  de – to breath : respirer –
– Comment ?
– Es-tu adeptes de cette doctrine où les gens ne se nourrissent pas et transforment l’eau et l’air en énergie ?
**regard qui cherche l’erreur**
– Pourquoi le penses-tu ?
– Je trouve que tu bois beaucoup d’eau.
– Et toi es-tu Beerarian?
– Comment ça ?
– Je trouve que tu bois trop de bières.
Une sacrée rencontre ce Peter…

 Tous les gens qui sont réunis ici nous ont tellement donné.

Les heures disparaissent comme un claquement de doigts. On trinque, on trinque beaucoup, à nos pays, à nos rencontres, au bonheur, à la santé, à l’anniversaire de mon frère, au dugout (ben oui quand même)… il y a tellement à célébrer dans cette vie.

-« Vous allez revenir à Coober Pedy. »
-« C’est une malédiction ou un souhait ?  »
**sourire**
– « Un souhait. »

Nous quittons cette ville avec le sentiment de quitter l’Australie.

                                                                     —————          —————            —————

Image

Corps d’un générateur pour alimenter les machines de Peter.

Image

Waiting for…

Image

Image

Un de ces soirs où le désert s’énerve…

Travail au centre de la terre

Repartons il y a une semaine, au premier jour de notre travail chez lui. Quand nous sommes arrivés ce lundi matin, à huit heures pétantes comme de gentils travailleurs volontaires. J’ai vu la mine déconfite de nos deux charmants acolytes : Anoush et Sunny. J’ai décelé la déception que ma vue pouvait leur offrir. Une femme, pas vraiment épaisse, avec des bras guimauves, dans son jean d’apparat (ben oui, j’avais perdu mes autres affaires dans une montagne de fringues, oui, Greg j’expie).
Mais elle est mignonne elle sourit. 
Greg trifouillait encore dans le van pour retrouver nos derniers équipements de sécurité, pendant que ces deux mâles me regardaient en essayant de se convaincre que oui, je pourrais être …utile.

-« C’est vrai, il y a des femmes qui travaillent dans les mines aussi. »
-« Oui, c’est vrai. Elles sont parfois même meilleures que les hommes. »
Hypocrites.

Ces deux-là, pensaient que j’étais venue dans l’espoir de faire des travaux de peinture -alors que le gros œuvre n’était pas terminé, je ne suis pas stupide-.
-« Tu sais on en est encore qu’au marteau piqueur. »

 Image

Je vous explique, vous le rappelle, les étés sont tellement chauds ici que les Hommes se construisent des maisons sous terre -les dugouts-. A l’origine, c’étaient des anciennes mines d’opales aménagées en maison par la suite. Aujourd’hui, les gens construisent directement leur chez soi sous la terre. Et s’ils trouvent de l’opale en creusant : tant mieux.
Chez Anoush, la montagne n’est pas propice à l’opale, il s’agira donc simplement de creuser un coin de paradis à même la roche.

Mais c’est bien connu, les hommes creusent, les femmes font la soupe et l’équilibre du monde est ainsi fait. Malheureusement pour eux, je n’ai jamais su faire la soupe.
Greg m’a donc montré comment me servir du marteau-piqueur sous la bouche béante de nos collègues. Heureusement pour eux, il n’y a pas de mouches sous terre.

Notre ami est accessoirement notre patron. Anoush est un arménien-libanais, un déraciné. Ses parents ont fui le génocide arménien, il a fui la guerre libanaise. La vie l’a emmené en Egypte et aujourd’hui ici. Il est « enfant de la guerre », comme il se plait à nous le prononcer en français. Il a de l’esprit, des idées sur la vie. Un peu marginal à temps perdu. Il parle des « working class », se veut un peu révolutionnaire, il cite Jaurès, se fait arracher des larmes par Aznavour(-ian- ba oui Arménien ) et Dalida l’exilée égyptienne. Il est beau de cette beauté des déserts. Des yeux naturellement affirmés de noir qui te transpercent à force de chercher les vérités, une bouche bien dessinée sur sa peau dorée. Il parle arménien, arabe, anglais et sait écrire ces trois langues dans leurs alphabets singuliers… Il est le grand frère, de ceux qui s’occupent des plus jeunes quand les parents s’envolent. Sensible, c’est celui qui cristallise la morale, la dignité… Il est d’une tendresse et d’un respect que seul peu de gens sont capables. Il est cicatrices, blessures, absences mais Anoush est avant tout Valeur.

 Et il est …joaillier, rêve de toutes femmes…**humour**
Il nous prouvera dans quelques semaines qu’il sait faire autre chose de ses mains que porter des seaux, démolir les parois de sa propre maison et nous conduira dans son atelier de bijouterie.

Image Image

Comme vous vous en doutez la curiosité m’a titillée.

-« Il faut que je prenne soin de mes mains, c’est mon travail »
Je l’envie un peu.
Comme dans son chez lui, il est bordélique. Le sera moins quand on lui laissera faire des bijoux qui lui correspondent mieux, des bijoux de maître avec des mécanismes fins et ingénieux. Il y a un art entre la bijouterie et l’horlogerie. Il aime le mouvement, la surprise, la perfection. Il crée avec passion.
-« Au pays, on m’appelait l’artiste. »
Il nous fait découvrir les propriétés de l’argent, de l’or, comment les manier, les assouplir, les faire plier, les façonner… Anoush est un lion, dompteur de métaux précieux.

Nous travaillons aussi avec Sunny. Sunny est aborigène. Il est tout en retenu, discret. Particulièrement avec moi car je suis une femme. Et dans sa culture, les femmes on les préserve. On ne dit pas de mots déplacés, on s’excuse quand on jure (ça se voit qu’il ne comprend pas mon français !). Déraciné, oui, lui aussi il l’est. Il a déjà eu plusieurs vies qu’il semble avoir brulées les unes après les autres. Les restes de fractures mal soignées en témoignent, les anecdotes qu’il nous raconte au compte-goutte aussi. C’est une tête brûlée, vive, remplie, insoupçonnée, violente et passionnée. C’est un mystère qui se dévoile au sphincter. Il me glacera un milliard de fois, en prenant sa guitare, en chantant de sa voix pénétrante, en saisissant une feuille blanche pour me croquer sur le papier, en reconnaissant le peintre Monet dans les images d’un clip de Youtube, en articulant des chansons françaises sorties de nul part…il parait qu’il maîtrise l’harmonica, je le crois.
-« Ou as-tu appris tout ça Sunny ? »
-« Tu sais, on s’ennuie en prison. »
Sunny a sa part d’ombre car Sunny est entier.
Nous sommes de sa famille désormais car « On a sué ensemble, on a eu des difficultés ensemble, on a bu ensemble. Tous ceux que je respecte sont de ma famille. Vous êtes mes frères ».
La simplicité d’un cadeau que l’on sait éternel. Les mots théâtres, Scotty, il ne les connait pas.

Notre travail consiste à creuser dans les parois des murs des trois chambres, des étagères et des lits à baldaquin. Pour ces derniers, deux mètres de profondeur et deux et demi de largeur. De belle taille quand on sait qu’en quantité de gravats cela représente le double. En d’autres termes la multiplication des emmerdes. Car ensuite à coups de pelles et de sueur, on remplit des seaux et à muscles d’Hommes (grand H car je porte aussi) on gravit la vingtaine de marches qui nous emmène à l’air libre, on charge la pauvre voiture couleur grise mine métallisée on fait une trentaine de mètres et on déverse les seaux. Et on recommence car comme le tonneau des Danaïdes, les pièces semblent se remplirent indéfiniment… Particulièrement dans la salle de bain dont nous avons multiplié la taille totale (sol au plafond) au minimum par quatre.

Nos armes : marteau piqueur, pioche, pelle, marteau, burin, muscles, sueur et surtout volonté en stainless steel. (acier inoxydable)

God bless us.

Image

Ci-dessus : Greg attaque les finitions.

Image

Ci-dessus : salle de bain. cette partie n’existait pas. Ni le premier ni le second plan.

Image

Image

Ci-dessus : Aprés le marteau piqueur… il faut vider la pièce avec des seaux. Ces deux photos, c’est avant et après.

Image

Ci-dessus : Jack (petit nom du marteau piqueur) et moi dans la salle de bain à peine ébauchée… Nous devions encore creuser trois mètres sur notre gauche et deux de profondeur. Sans compter la petite pièce du fond .

Image

Ci-dessus : Greg s’apprête à conduire notre brouette géante

Miel du Minotaure

Autant sociaux que religieux, les dimanches matins nous font découvrir certaines figures de Coober Pedy.

Big Lucas porte bien son surnom, cette montagne croate s’est façonnée un jardin d’Eden au dépend de la terre aride du désert. Ici le verger, là le potager, ou les aromates. Il nous donne le nom de chacune de ses plantes, et de leurs bienfaits. Des chants enrobent le tout, c’est une immense volière d’oiseaux multicolores. Un pas plus loin, creusées dans la roche, de petites caves pour rafraîchir les ruches. Ça leurs évite de trop ventiler et donc de consommer du miel…

Les difficultés rendent créatifs. Coober Pedy est un vivier.

Yveline est française -ca y est vous connaissez tous les gaulois vivant ici-. Ce petit bout de femme sec comme une brindille mène sa barque dans les boyaux labyrinthique de la cité. En visitant son business, on pourrait croire qu’elle s’attend à une troisième guerre mondiale, au chaos, à un remake à la HG Wells. Mais il n’en n’est rien, son hôtel underground qui plonge à quinze mètres et se décline en de multiples chambres supportées par la simple perfection de la roche peut nourrir les imaginations, animer les fantasmes des châteaux aux oubliettes et aux passages secrets défendus mais à tout le confort du meilleur bed and breakfast. Elle est fière quand elle nous fait déambuler au cœur de la cachette du Minotaure. Elle peut. C’est d’une beauté énigmatique, comme on les aime.
(http://www.radekadownunder.com.au/)

En journée Greg joue les apprentis plombier en suivant Dave et Damien sur le terrain. Il marteau-pique du ciment, il découvre « où sont passes les tuyaux » (les tuyaux, les tuyaux), il joue à la scie sauteuse, il creuse, branche, coupe, visse et pose du bois… pendant qu’avec Amandine on réinvente l’artisanat de la Mother Land de Damien, la Pologne, sur la porte du poulailler.  Wycinanki (prononcez : vitchinianki) signifie découpage. Nous avons pris un modèle que nous avons adapté à l’Australie. C’est long mais les poules se prennent pour des coqs désormais tant elles sont fières de leur extérieur. Les couleurs détonnent avec l’ocre omniprésent.

 Image

Nous avons eu l’immense bonheur de vivre notre premier Drive In. Je ne parle pas de la file au Macdo pour commander votre Happy Meal (pour le cadeau) et vos 75 burgers. Je parle de la légende américaine, je parle pop-corn, je parle Retour vers le futur, je parle se rouler des palots en bagnole, je parle des blousons des équipes de sport des universités et des pom-pom girls… j’évoque bien sur le cinéma en plein air dans votre vieille carcasse de tôle.

MY DREAM CAME TRUE !

Le film était un navet, bien américain justement, mais rien n’aurait pu gâcher ces cent vingt minutes de pure jouissance. Merci Amandine pour avoir sublimé l’instant en préparant du popcorn. Le mythe était complet grâce à toi. Je peux cocher cette étape de ma to do list.

Il faut aussi avoir des envies accessibles et niaises. Ça fait du bien et le bonheur qu’elles procurent n’en est pas moins grand.

Pour remercier nos hôtes de ces moments partagés nous proposons le restaurant à la maison. « Tu t’occupes de rien, on s’occupe de tout. » Nappe noire, bouquet, bougies…pour les yeux. Foie gras, confit d’oignon, Gewurst, pommes de terre farcies…pour les papilles. L’élégance n’a pas besoin de couverts en argent.

 Image

Image

Je vous épargne les cours de dessin avec Simina, chétive mais charmante roumaine, et son mari viKtoR, ma chute dans un schaft -puis- heureusement peu profond, une nuit après un camaïeu de vodka miel, cerise pour fêter la vie qui danse ou encore les soirées karaoké avec massacres de quelques chansons anglophones…

Un matin, nous décidons de laisser notre couple de jeunes mariés respirer. Nous quittons les lieux de peur de finir par prendre trop de place, et accessoirement racines. Nous sommes adoptés par l’homme chez qui nous travaillons depuis un peu plus d’une semaine déjà. Nous l’avions rencontré deux fois avant de trinquer cette fois à notre accord merveilleusement inattendu:

Nous l’aiderons à creuser son dugout -sa maison souterraine-.